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Vernon Subutex 1, d’après le roman de Virginie Despentes, mise en scène de Thomas Ostermeier, Odéon-Théâtre de L’Europe

Juin 21, 2022 | Commentaires fermés sur Vernon Subutex 1, d’après le roman de Virginie Despentes, mise en scène de Thomas Ostermeier, Odéon-Théâtre de L’Europe

 

© Thomas Aurin

 

ƒ article de Denis Sanglard

Comment exprimer combien la déception est à la hauteur de ce que nous espérions ? Vernon Subutex, roman âcre, subversif au sens noble du terme, au goût de cendre et de lendemain de descente à crever, la comédie humaine d’une génération contemporaine désillusionnée, désenchantée, fracturée où Virginie Despentes d’une lucidité d’écorchée vive, abrasive, la rage toujours intacte et jamais émoussée, colère glaciale, écrit au scalpel tranchant le lent pourrissement de l’intérieur d’une société en proie désormais à la violence intrinsèque et systémique. Violence d’une fracture sociale faisant le nid de la réaction de plus en plus décomplexée, extrémisme de tout bord et de tous poils. Racisme, antisémitisme, homophobie, misogynie… longue, très longue est la liste qui voit les haines fleurir sur le fumier de politiques rances. C’était en 2015, c’est aujourd’hui. Récit d’une dépression générale, la fin de nos utopies fragiles et illusoires balayées par le cynisme du libéralisme outrancier. Vernon Subutex, ce clochard céleste, jeté à la rue, basculant dans la précarité la plus nu, errant d’un squat à l’autre, terminant dans la rue, révèle les visages sans fards de cette société fragmentée, irréconciliable désormais. Dans ce roman prophétique d’une puissance de feu qui dynamite un système devenu incontrôlable, une société déliquescente prêt de s’effondrer sur elle-même, se côtoient qui entourent Vernon Subutex, perdants et gagnant, trader, influenceur, star du porno féministe, trans, musulman libéral et radical, scénariste raté, ancienne punk… Identités de genre, opinions politiques, classes sociales, générations, Virginie Despentes entrelace serré le destin de ces personnages fracassés, microcosme que traverse Vernon Subutex, les révélant tels qu’en eux-mêmes, dans leur vérité, dénudés de tout mensonge. Ce sont des parcours de vie chaotique et mouvant où le cynisme le dispute au pathétique, la laideur crasse des sentiments à la beauté la plus pure. Un constat brut, à quelques exceptions, de faillite personnelle et d’une brutalité sociale et politique érigée en système qui broie les plus faibles. Mort aux vaincus !

Sur le plateau de l’Odéon, Thomas Ostermeier livre une adaptation bien trop sage, lisse et sans aspérité. Délaissant très vite l’intrigue du roman, une histoire de cassette vidéo que possède Vernon Subutex, au contenu potentiellement explosif, recherché par un producteur, convoité par un scénariste, pour ne livrer qu’une galerie de portraits qui chacun leur tour, entre deux chansons rocks, se racontent, se livrent en adresse directe au public. Confessions ou confidences provoquées par l’arrivée inopinée de Vernon Subutex à la recherche d’un toit pour la nuit. On ronge son frein se demandant quand enfin va commencer la pièce, l’adaptation de ce roman que l’on sait complexe et ardu, mais on a, au final, que son générique. Le frottement, dans le roman, entre tous ces personnages, ses univers violemment contrastées, donnait au roman son relief, son impulsion, sa dynamique. Là, on finit par se lasser de ce « tournez manège ! » où chacun à son tour, micro en main se raconte, monologue qui vire au dialogue de sourd. Certes Thomas Ostermeier ne trahit pas le propos abrasif de Virginie Despentes, difficile d’échapper à cette écriture incisive, mais il le dévitalise par un manque évident de point de vue, voire de trahison. Par ce manque-là, et ce parti-pris paresseux, tout reste littéral et par trop superficiel, qu’accuse en outre les vidéos comme autant de clichés d’un Paris misérabiliste, entre clochards et gilets jaunes, et tombe bien vite à plat. Il manque une appréhension plus à vif, osons le dire, plus « hard » et performative. Les personnages sont comme ébarbés de leur raucité, de leur fêlure, de leur violence. Étrange impression d’une mise à distance où la parole puissante et prophétique de Virginie Despentes, n’est aucunement étayée en creux. Cela relève parfois, parfois seulement et bien malgré les excellents comédiens de la Schaubühne eux-mêmes, au cabotinage qui désamorce, dessert l’âpreté du discours. Tout cela reste dans le jeu un poil convenu qui ne convient nullement aux aspérités des personnages borderline de Virginie Despentes. On sort quelque peu dépité de cette création, dont on attendait sans doute un peu trop, certes impeccable mais qui reste au bord de son sujet, sinon à côté. Dommage que ce qui aurait put être un manifeste générationnel ne reste qu’un simple et vain objet théâtral.

 

© Thomas Aurin

 

Vernon Subutex 1, d’après le roman de Virginie Despentes

Adaptation de Florian Borchmeyer, Bettina Ehrlich, Thomas Ostermeier

Mise en scène de Thomas Ostermeier

Traduction du français : Claudia Steinitz

Scénographie et costumes : Nina Wetzel

Vidéo : Sébastien Dupouey

Musique : Nils Ostendorf

Dramaturgie : Bettina Ehrlich

Lumière : Éric Schneider

 

Avec Thomas Bading, Holger Bülow, Stéphanie Eidt, Henri Maximilian Jakobs, Joachim Meyerhoff, Bastien Reiber, Ruth Rosenfeld, Julia Schubert, Hêvîn Tekin, Mano Thiravong, Axel Wandtke, Blade AliMBaye ( en vidéo)

Et les musiciens Henri Maximilian Jakobs, Ruth Rosenfeld, Taylor Savvy, Thomas Witte

 

Du 18 au 26 juin 2022

Du mardi au samedi à 19 h, le dimanche à 15 h

Durée 4 h 15

 

Odéon-Théâtre de l’Europe

Place de l’Odéon

75006 Paris

 

Réservation 01 44 85 40 40

www.theatre-odeon.eu

 

 

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