Critiques // « Väter » d’Alvis Hermanis à la MC93 / Festival le Standard Idéal

« Väter » d’Alvis Hermanis à la MC93 / Festival le Standard Idéal

Fév 07, 2011 | Aucun commentaire sur « Väter » d’Alvis Hermanis à la MC93 / Festival le Standard Idéal

Critique d’André Antébi

« Väter » Ou « Comment je suis devenu mon père. »

« L’important en art n’est pas d’inventer quelque chose  de neuf, mais de montrer les choses telles qu’elles sont »

Les acteurs ne sont pas encore entrés sur le plateau que le spectacle semble avoir déjà commencé. Le temps que le public s’installe est toujours un moment particulier au théâtre depuis que les rideaux ont disparu de nos mises en scène. Et sur la scène devant nous, une multitude de questions nous est posée. Notre horizon d’attente autour de Vater est mis à l’épreuve. On ne sais pas du tout à quoi s’attendre !
Deux petites tables autour desquelles de nombreux objets, totem, a priori sans cohérence les unes par rapport aux autres, sont posées comme on pourrait les trouver sur le stand d’un vide grenier.
L’ambiance est feutrée, presque familière. Et tout semble possible dans cette installation d’une grande simplicité et qui nous place d’emblée dans l’intime et le souvenir.

© Leonard Zubler

Car le souvenir sera la pierre angulaire de ce spectacle à six mains, conçu par le metteur en scène letton Alvis Hermanis, les trois comédiens évoquant successivement la mémoire de leur père.
Bien que construite très linéairement, la pièce ne sombre jamais dans la monotonie. La relation que les acteurs installent avec le public nous tient d’un bout à l’autre du spectacle. Dès leur première apparition, les comédiens se placent sur le terrain de la vérité pour se présenter tel qu’ils sont, comédien de théâtre (ou pas), allemand ou russe, à succès ou plus discret. Leur identité ne fait aucun doute et le public prend un plaisir complice à découvrir ces acteurs aux « techniques » et tics et tocs (ils nous le disent) si différents. Puis progressivement, sans vraiment nous en rendre compte, nous aurons glissé dans l’histoire qu’ils sont venus nous raconter : Celle d’une relation perdue, celle d’une époque révolue.
Ces enfants nous parlent de leur père avec leur regard d’adulte, conscient des failles et des faiblesses de leur modèle.
Comment parler de son père, par quoi commencer pour tenter le faire connaitre au public ? Comment se faire assez précis pour ne pas en brouiller l’image et la rendre le plus vrai possible ? Les comédiens se trouvent dans cette contrainte et cette douloureuse épreuve de devoir peindre un souvenir, un sentiment.
Comment s’habillaient-ils ? Décrire leur odeur. Leur démarche ? Plutôt terrienne ou aérienne ? Lente ou rapide ? Fluide ou saccadée ? Il faut tout faire pour donner l’image la plus juste, pour que l’on comprenne, de qui on parle. Faire revivre, un moment, ces parents défunts. Cette lutte pour le souvenir, placée sous le sceau de l’humour et de la sincérité nous place nous, spectateurs, en totale communion avec les artistes.
Les récits successifs nous ferons découvrir un peu plus la relation qui unissait ces fils et ces pères, les trois comédiens dressant une sorte de portrait exquis d’un père universel avec toute son humanité.
Et à travers ces histoires, où se mêlent fierté, amour et déception, nous voyageons entre les goulags de Sibérie, la RFA des années soixante-dix avec en filigrane cette génération d’après Hitler, ses revendications et son engagement et l’alcool omniprésente dans les trois familles.

« Comme si de ces deux visages il ne voulait plus en faire qu’un seul »

Au fil du spectacle, nous vivons cette sensation que quoi qu’il arrive, quel que soient les chemins empruntés, qu’ils soient dans la lignée ou à contre courant de celui de leur père, les fils se rapprocheront de celui qu’ils ont aimé, craint ou jamais vraiment compris.

Ces fils qui nous parlent de leur père doivent se rapprocher de lui pour mieux nous en parler, nous l’avons déjà évoqué. Mais cette mission de vérité sera poussé à son paroxysme quand les fils iront jusqu’à devenir les pères. L’image alors sera pour nous parfaite. Ils auront réussit à faire revivre les défunts.
Comme un grand livre de souvenir ouvert devant nous, des photos de ces pères sont exposées, reproduites sur de grands panneaux. A chaque nouveau moment évoqué, une page de l’album se tourne et vient illustrer le propos. Ou peut-être est-ce l’inverse !
On finit par bien les connaitre les papas ! On peut même jouer au jeu des ressemblances avec les fistons. Et ce jeu devient de plus en plus excitant à mesure que les pères prennent corps devant nous à la place des fils. Attention, c’est toute l’histoire de la psychanalyse qui prend forme devant nous, grâce à un extraordinaire travail de maquillage qui s’effectue tout au long du spectacle, sur le plateau. À chaque nouvelle intervention, les comédiens apparaissent avec une joue qui tombe, un menton qui se dédouble, un nez qui s’épaissit. Et ces difformités trouvent leur harmonie quand ce ne sont plus que trois vieillards qui évoquent leur souvenir. Une transformation qui accompagne ainsi les comédiens dans leur schizophrénie et trouble un peu plus la question de l’identité de ceux qui nous parlent.
Cet aspect psychanalytique n’enlève rien à l’humour et au décalage que le talent des comédiens insuffle à la pièce. Tout au long des 2h40 de spectacle, rien ne se perd, toutes les promesses sont au rendez-vous. Le spectacle ne se perd jamais dans le sentimentalisme. Quel que soit le souvenir évoqué, il y en de très drôles, d’autres absolument insoutenables, les acteurs ont choisi de montrer les choses telles qu’elles sont, de parler de leur père, et non de les juger.

Väter
– Allemand surtitré –
Conception, mise en scène : Alvis Hermanis
Avec : Gundars Abolins, Juris Baratinski, Oliver Stokowski
Scénographie : Monika Pormale
Lumière : Ginster Eheberg
Dramaturgie : Andreas Erdman
Production : Schauspielhaus Zurich
Spectacle repris au Burgtheater Wien

Les 30 et 31 janvier 2011
Dans le cadre de la 8éme édition du
Festival Le Standard Idéal

MC93
1 boulevard Lénine, 93 000 Bobigny – Réservations 01 41 60 72 72
www.mc93.com

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