© Jérémie Piette
ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
Quatre rangées de perles ne sont pas de trop pour le cou délié et gracile de Vaslav. Pêchées de par le monde capitaliste moderne, elles ont voyagé depuis les manufactures de l’Empire Céleste. De cette facticité à peu de prix, la valeur poétique s’en trouve augmentée. Surmontée d’un bonnet à pompon rouge, habillée d’une longue et sombre robe de velours, la créature d’Olivier Normand est marin et sirène à la fois, mais toujours un poème en soi. Et c’est bien le propre, d’ailleurs, de toutes celles qui peuplent les « spectacles de travelos d’obédience genettienne » pour reprendre les termes exact de Vaslav (on parle ici bien sûr de Jean Genet, l’inventeur de Notre-Dame des fleurs, et non de Gérard Genette, créateur du concept de transtextualité). Vaslav, l’alias travelo donc d’Olivier Normand, qui officie habituellement chez Madame Arthur, en a sous le coude, d’une érudition sans pareille qui n’est pas sans ajouter, si cela était encore possible, à sa beauté spectaculaire. La forme proposée par Olivier Normand se fait trait d’union, d’inclusion même, d’un public de néophytes dont l’auteur de ces lignes se compte, peu connaisseur du monde du cabaret, dévoilant l’envers du décor et du maquillage par petites touches, laissant transparaître un Olivier Normand bien campé et sous tout rapport sous le masque de son Vaslav. A l’aise bien sûr dans le face à face qu’il instaure, après avoir expressément piétiné ce quatrième mur, Vaslav maitrise l’art de la répartie et de l’à-propos avec la finesse et l’élégance d’un art floral.
Mais surtout, et avant tout, Vaslav possède le don d’ubiquité puisque, forme cabaret habituellement réservée aux ors et au frises vulviennes arthuriennes (Madame Arthur, et non le roi Arthur), la voilà programmée aux Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis (signe qu’il y a bien un corps dans cette créature fantasmatique) et bientôt au Festival Paris l’été ! Olivier Normand file la métaphore horticole parlant de sa créature « déplacée de sa serre tropicale », et, effectivement, Vaslav opère une enthousiasmante déterritorialisation faisant bouger les frontières entre les genres (on ne parle évidemment pas que du masculin féminin ici), entre les salles et autres lieux de diffusion, entre les publics. Le travestissement se fait donc travelling dans le biotope culturel. Le voyage promis en ouverture par Vaslav est de tous les instants : transport dans la fascination amoureuse qu’il provoque irrésistiblement, et dépaysement encore, par la sublime et sensible, à fleur de peau, traversée musicale qu’il nous offre. Fado, chant troubadour, raga indien, reggae, rock… se doublent de langues aux sonorités multiples : portugais, ancien français, anglais… Olivier Normand, s’il est virtuose dans cet art du travestissement, est un véritable caméléon capable de modifier jusqu’à la texture et à la couleur de sa voix. Assis et attablé à sa shruti box (petit harmonium indien portatif), il semble, avec son bonnet de marin, manœuvrer une barre de gouvernail. Et cela est certain, une heure durant, il gouverna au plus intimes des voyages, nous arrimant au cœur. Les longues plaintes de l’harmonium nous transbordèrent dans un ailleurs inédit, exotique et si proche pourtant car bruissant de nos propres désirs et peines, où Vaslav pu nous cueillir aussi délicatement qu’un fruit mûr. Que dire de cette voix virtuose, sinon que la sirène dont il nous parla en introduction n’était pas tant celle du conte que celles que rencontra Ulysse, proprement ensorcelantes. La danse était également là, celle qui met en mouvement les cœurs par la grâce d’un chant et d’une affolante présence.
© Bruno Gasperini
Vaslav, conception et interprétation d’Olivier Normand
Son : Louise Prieur
Lumière : Vincent Brunol
Regard dramaturgique : Anne Lenglet
Robe : Hanna Sjödin
Les 9 & 10 juillet 2024
Durée : 1h
Lycée Jacques Decour
12 avenue Trudaine
75009 Paris
Réservation : www.parislete.fr
Vu le 15 juin au Théâtre de l’échangeur dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis
comment closed