Critiques // « USA » d’après John Dos Passos à la MC93 / Chroniques du bord de Scène, saison 3

« USA » d’après John Dos Passos à la MC93 / Chroniques du bord de Scène, saison 3

Avr 12, 2010 | Aucun commentaire sur « USA » d’après John Dos Passos à la MC93 / Chroniques du bord de Scène, saison 3

Critique de Johann Gasnereau

USA est  une vaste fresque de la vie américaine du début du XXe siècle, dans laquelle l’auteur oppose les « deux Amériques ».

John Rodrigo Dos Passos (1896-1970) est un peintre et un écrivain américain. Au cours d’une longue carrière faite de succès, Dos Passos écrit quarante-deux romans, des poèmes, des essais, des pièces de théâtre et crée plus de quatre cents œuvres d’art. On retiendra surtout de lui Manhattan transfer et sa trilogie USA ; écrits dans les années 1920 et 1930, période où il est à l’acmé de sa gloire littéraire. C’est un romancier du réel et plus particulièrement des luttes de la gauche syndicale américaine.

Nicolas Bigards, le metteur en scène, et acteur de la pièce a d’abord commencé comme assistant à la mise en scène à la MC93 de Bobigny, en 1995, où il rencontre alors Jean-François Peyret avec lequel il finira par collaborer pendant dix ans. (La Génisse et le Pythagoricien – 2002, Sur des poèmes d’Auden – 2000…)  En 2007, c’est avec Barthes le Questionneur que le projet artistique s’ancre sur la durée, puis ensuite avec Chroniques du bord de Scène en 2008, Chroniques du bord de scène – saison 2 hello America en 2009 et Chronique du bord de scène – saison 3 est le deuxième volet de la saison 2009-2010.

U.S.A est un cycle de trois romans qui révolutionne dans l’écriture et son auteur est considéré comme un précurseur dans la littérature et l’initiateur d’un courant de la modernité. Ces trois romans (42e parallèle, L’An premier du siècle et La Grosse galette) forment une vaste fresque de la vie américaine entre 1900 et 1930, dans laquelle Dos Passos oppose les « deux Amériques » : la riche et la pauvre, celle des nantis et celle des démunis, celle des idéalistes forcenés et celle des désespérés, victimes de la Dépression. Dos Passos poursuit et réussit ici un projet littéraire extrêmement ambitieux : rendre compte en terme de fiction de l’histoire des masses américaines. Ainsi chaque personnage réapparaît-il dans la trilogie. Cette « comédie humaine » est à la fois un roman politique, le roman de l’Amérique et celui de la ville, ville-machine, qui broie nombre de personnages.

Les amoureux de l’atmosphère des romans noirs, passez votre chemin.

Voici les propos du metteur en scène, qui me paraissent importants, afin de montrer à quel point, selon mon avis, il est passé à côté de son discours :

« Alors que peu à peu les événements font de moins en moins l’Histoire et de plus en plus l’actualité, que les destins ne font plus odyssée mais tout juste une biographie, où en ces temps de simultanéité s’effacent les marques de notre époque, la question de l’identité semble du même coup revenir hanter les consciences. […] La trilogie USA reste encore à ce jour l’un des portraits les plus puissants de l’Amérique, car ce sont les racines même de l’Amérique que nous connaissons aujourd’hui qui se dessinent sous nos yeux, tiraillées entre l’inclination révolutionnaire des ouvriers, mineurs et bûcherons et la tentation répressive des dirigeants politiques et hommes d’affaires. »
Ce soir, nous avons affaire à la 3ème partie donc.

Quand le navire sombre…

La pièce se veut exigeante mais tombe dans des travers prétentieux et incompréhensibles d’une modernité ou d’une audace avortée. C’est l’intellectualisation d’un texte pourtant simple. Pour faire une allitération, je dirais que c’est la mise en abîme de la mise en scène théâtrale.

Pourtant, au début, on est séduits. On entre dans un grand espace, il fait sombre, l’ambiance est inquiétante. On y est. Une voix parle. On sent des effluves de cigarettes. On avance doucement, on hésite. Ce n’est pas une salle comme les autres. Pas de fauteuils rouges, pas de scène. Enfin, si, elle est partout. Des sièges, disparates dans leurs styles, sont disposés sur les côtés, au milieu de manière non régulière. C’est hétéroclite, intriguant. On est invités à entrer dans une sorte d’arène. Le spectateur est au centre. On marche sur du sable. Et cette voix de femme qui continue de parler, puis une autre, masculine, celle-ci. Les voix se mélangent. Des paroles, lointaines. Oui, tout cela semble étrange, et on se laisse séduire les premiers instants. On cherche une place pour s’asseoir, les gens sont déroutés. On s’installe, on regarde autour, on tourne la tête, on examine ces échafaudages, grands, qui entourent l’endroit. On observe les différents agencements du décor : un lit dans un coin, un bureau, des bouées de bateau, accrochées sur les armatures métalliques, laissant deviner le paquebot, et aussi des cabines téléphoniques, un salon cosy, quelques objets divers, un vieux téléphone en bakélite au design 1930. C’est simple et efficace dans le choix. L’atmosphère d’un roman noir est palpable. On est plongé dans les  Etats-Unis des années 20-30.

Les voix continuent de parler. Et là on comprend : des saynètes se jouent à différents endroits, investissant l’immense espace, simultanément ou pas. Les gens quittent leurs sièges et tel un troupeau, se déplacent. Chacun choisit son camp. On doit venir vers les comédiens et se faire une place, debout, parmi les groupes de personnes.  On s’interroge dans un premier temps. La pièce, est-elle commencée ? Oui, elle l’est. Et alors, je réalise que je ne suis pas embarqué dans cette aventure romanesque. Les voix si particulières, au début, comme venues de nulle part, s’entrechoquent, se perturbent finalement. Cela ressemble à de la mise en scène proche des installations d’étudiants en Beaux-Arts. On n’y croit pas, on ne rentre pas. C’est mécanique, distancié, les sons, tout. On n’est pas à l’écoute.

On est au milieu de cette arène, les comédiens jouent autour de nous, investissent le lieu, sur les échafaudages, ou ailleurs mais les mots, ne nous emportent pas. Jamais. C’est parfois inaudible, lourd, une logorrhée qui ne signifie plus rien. On ne s’attache pas aux personnages, ni à ce qu’ils racontent. C’est une adaptation brouillonne.

Les prémices étaient pourtant judicieuses, intéressantes, pertinentes, c’était risqué même. Le metteur en scène a mis en avant un parti-pris mais est passé complètement à côté de ses propres choix. Je m’ennuie. Il n’y a rien de pire. On nous donne à voir des pantins sans vie.  Puis, je suis exaspéré, un des comédiens savonne, une fois, puis deux, puis trois. On le croirait à peine sorti du conservatoire. C’en est trop.

J’ai juste envie de fuir cette Amérique, celle qui nous est proposée. Pour moi, c’est la fin du voyage.

USA
D’après : John Dos Passos
Conception, réalisation : Nicolas Bigards
Avec : Nicolas Bigards, Thomas Blanchard, Raphaèle Bouchard, Christelle Carlier, Noémie Dujardin, Antoine Gouy, Théo Hakola, Pierre-Henri Puente, Gaia Singer, Jalhil Teibi, et la voix d’Hervé Briaux
Scénographie, images : Chantal de La Coste
Lumières : Pierre Setbon
Son : Etienne Dusard
Musique : Théo Hakola
Adaptation : Christine Boy, Stéphanie Cléau

Chroniques du bord de scène – Saison 3
Du 9 au 18 avril 2010

MC 93 Bobigny
1 bd Lénine, 93 000 Bobigny
www.mc93.com

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.