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Une pièce sous influence, de Martin Legros, mise en scène de Martin Legros et Sophie Lebrun, du collectif La Cohue au Théâtre 11, Festival d’Avignon OFF

Juil 04, 2024 | Commentaires fermés sur Une pièce sous influence, de Martin Legros, mise en scène de Martin Legros et Sophie Lebrun, du collectif La Cohue au Théâtre 11, Festival d’Avignon OFF

 

© Virginie Meigné

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

En état de choc lorsque le noir se fait, on a du mal à applaudir et pourtant le collectif la cohue, qui porte bien son nom, le mérite amplement. On réfléchit à l’origine de cette apnée et on revoit la pièce à partir du début….

Sur le plateau, un capharnaüm avec des caisses renversées, et rien pour s’assoir, un salon envahi de confettis avec un lustre qui pendouille, un piano, une fenêtre de guingois, des oiseaux… empaillés, une musique lancinante et une lumière blafarde, tout est glauque, et ce solo de batterie assourdissant qui nous faut sursauter, on pense à Hitchcock. Mathias et Anna, (habillée en mariée zombie couverte de sang, quel étrange costume !) rentrent chez eux un soir de carnaval après une soirée bien arrosée où ils ont croisé les futurs acheteurs de leur maison qu’ils vont quitter définitivement. Mais le plus angoissant n’est ni le sang, ni ces affreux volatiles c’est ce malaise grandissant à la vue d’un couple qui veut paraître normal face à nous et plonge intérieurement. Plus ils s’acharnent à simuler une vie ordinaire, plus on est gênés. Le moindre geste, le moindre regard distille une atmosphère paranoïaque et nous participons en voyeurs à l’horreur, en appréhendant que le pire soit encore à venir. Anna a invité les futurs acheteurs à prendre un verre et leur propose de dîner mais il n’y a rien à manger. Elle les invite à se mettre à l’aise mais il n’y a pas de chaise, toutes ses initiatives tombent à l’eau, cette femme perd les pédales, « Ça tourne pas rond dans sa p’tite tête » chantait Odette Laure, et là ça déraille plein pot, on se dit que Mathias va péter les plombs. Les références à Cassavetes, en particulier à Une femme sous influence, sont explicites avec ce mari qui s’acharnait à simuler de façon hystérique une vie ordinaire et cette femme qui passait de la prostration à l’exaltation totale. Mais là ou Gena Rowlands en faisait un peu trop dans l’exhibition et les mimiques caricaturales, Sophie Lebrun est juste, de bout en bout, avec des répliques désordonnées, des coups de freins, tout est dans les ruptures, les nuances et les points de suspension.

Martin Legros, l’auteur, qui joue Mathias, est expert en virages stylistiques à lacets et en comique qui percute le tragique. Anna, ancienne pianiste amoureuse de Chopin, boit des TGV (Tequila, Gin, Vodka) et fait le show. Le couple d’acheteurs, Ines Camesella et Baptiste Legros, tous deux excellents, tente de faire bonne figure et resteront sans voix à la révélation du drame vécu par ce couple : la mort accidentelle de leur enfant unique dont la chambre est restée en l’état.

La scénographie est top avec un contraste marqué entre des pluies de confettis qui tombent du ciel dans cet océan de malheur. Le plus marquant est à la fin, une nocturne de Chopin avec une femme qui semble effleurer les touches de dos et abandonne finalement son instrument, comprenant qu’elle ne pourrait plus jamais jouer.

Cette pièce questionne notre quête obsessionnelle de la normalité et notre regard sur ceux qui perdent pied. Peut-être parce que la normalité, c’est la tranquillité, la garantie d’une forme de sécurité grâce à des repères, des balises. Tout cela est profondément illusoire. Anna est sans filtre, complètement vulnérable, chaque brèche l’engage totalement mais Mathias plonge dans l’impasse du déni, et sa violence sourde est tout aussi problématique. C’est quoi « être normal » ?  Avoir un bon travail, faire les courses, inviter ses voisins à prendre un verre, avoir une conversation de convenance « comment vas-tu », « sale temps pour un mois de juillet ? », la normalité, si on la recherche systématiquement, est une impasse absolue. Bravo à la compagnie La Cohue pour cette magnifique composition sur un sujet complexe et salutaire. Un texte superbe et une direction d’acteurs hyper précise qui rend palpable la puissance du non-dit, beaucoup pourraient s’en inspirer. Ne les ratez pas !

 

© Virginie Meigné

 

Une pièce sous influence, texte de Martin Legros

Mise en scène : Sophie Lebrun et Martin Legros, compagnie La Cohue

Assistanat à la mise en scène : Loreleï Vauclin

Musique live : Nicolas Tritschler

Création son :  Pierre Blin

Lumière : Audrey Quesnel

Costume : Loona Piquery

Piano : Andjelka Zivkovic

Avec Inès Camesella, Sophie Lebrun, Baptiste Legros, Martin Legros, Nicolas Tritschler

Durée : 1h35

Jusqu’au 21 juillet 2024

 

Théatre 11

11 boulevard Raspail

84 000 Avignon

www.11avignon.com

 

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