© Niki Velissaropoulou
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Sur le petit plateau du Théâtre des Déchargeurs souffle un vent glacial, un enfant perdu, un nourrisson dans les bras, erre dans une lande enneigée où les pendus se balancent dévorés par les corbeaux. Ariane Pawin, conteuse, nous plonge dans les premiers chapitres du roman de Victor Hugo, L’homme qui rit, et c’est merveille. C’est un voyage immersif qui nous plonge dans l’écriture, au plus profond de sa chair, nous en restitue toute la beauté, ses pleins et ses déliés, son souffle épique. Et surtout par cet art délicat du conte porté ici à son plus haut, émerge mille et une sensations ténues, des émotions indicibles, des images fantastiques. Entre récit et narration, Ariane Pawin crée sur ce plateau nu tout un univers au plus près du roman de Victor Hugo. Là il y a la mer, ici la falaise, plus loin la lande, plus loin encore les faubourgs muets et soudain, une roulotte. Nous sommes attachés au pas de cet enfant, à sa course désespérée. Sa peur devient la nôtre, le froid et l’épuisement nous gagnent. Il est là ce pendu, ce spectre qui ricane, effrayant. C’est dans nos bras que se réchauffe le nourrisson enseveli dans son tombeau de glace. Et c’est dans cette roulotte que demeure l’humanité d’un vieillard et d’un loup. Et ce regard d’enfant terrorisé qui nous hante, c’est le nôtre. Cette écriture-là si brillante, sur ce plateau noir une parole l’incarne avec la même intensité, le même éclat, sans la trahir jamais. Incarnée, oui, incrustée dans le corps mobile et la voix musicale d’Ariane Pawin. Subtile métamorphose par quelques gestes furtifs, à peine esquissé ou pleinement engagé par une soudaine altération, ce corps et cette voix deviennent un paysage mouvant, un espace poétique inouïe que réhausse la lumière et le son, travaillés avec soin et importance. Et parfois soudainement, c’est tout l’art du conte, Ariane Pawin rompt le fil du récit qui nous tient fermement pour nous interroger, expliquer, respectant scrupuleusement les incises même de Victor Hugo, comme autant de petites notules de bas de page. C’est le « cric » du conteur qui appelle traditionnellement le « crac » du spectateur, renforce le lien entre les deux, complices et voyageurs dans cette traversée épique d’une écriture lyrique. On sort du Théâtre des Déchargeurs avec cette émotion palpable propre à tout lecteur ébloui d’une œuvre qui se révèle à vous.
Une nuit à travers la neige, d’après L’homme qui rit de Victor Hugo
Création et interprétation Ariane Pawin
Mise en scène et création lumière Marien Tillet
Création sonore Alban Guillemot
Du 3 au 26 octobre 2021 les dimanches, lundis et mardi à 21 h
Théâtre des Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs
75001 Paris
Réservations
01 42 36 00 50
Tournée
Le 24 octobre au Théâtre 13 (Paris), festival Passeurs d’histoires
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