À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // UNE MOUETTE, d’après Anton Tchekhov, adaptation et mise en scène d’Elsa Granat, à la Comédie-Française  

UNE MOUETTE, d’après Anton Tchekhov, adaptation et mise en scène d’Elsa Granat, à la Comédie-Française  

Avr 18, 2025 | Commentaires fermés sur UNE MOUETTE, d’après Anton Tchekhov, adaptation et mise en scène d’Elsa Granat, à la Comédie-Française  

 

 

© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

 

ƒ article de Nicolas Thevenot

« Il faut peindre la vie non pas telle qu’elle est, ni telle qu’elle doit être, mais telle qu’elle se représente en rêve » fait dire Tchekhov à Treplev au premier acte de sa Mouette. De quelle humeur noire et lourde est trempé ce rêve, ce soir-là à la Comédie-Française ? Au dernier acte, il n’a plus que l’apparence d’une eau-forte, où l’acide du graveur aurait fini de ronger l’humain comme un os. Dans une débauche de traits pleins, l’expressivité caricaturale de la vie aura masqué toute expression vivante à l’instar d’une mascarade. UNE MOUETTE, qui affiche sa singularité en choisissant l’article indéfini plutôt que l’article défini tout en affirmant son geste définitif, non pas pour traduire un caractère commun mais pour marquer qu’elle s’inscrit bien dans une histoire de mises en scène et choix théâtraux, cette adaptation donc d’Elsa Granat est une œuvre au noir et au burin. Une œuvre sur les forces en présence, celles de l’art, de la vie, des hommes sur les femmes, et des femmes sans les hommes, mais c’est aussi une œuvre du passage en force. Supplanter l’ouverture du théâtre inaugural de Tchekhov (premier acte de la Mouette d’un théâtre dans le théâtre) par un prologue enchâssant en quelques scènes la pièce dans un dispositif rétrospectif est un recadrage en bonne et due forme, même s’il reflète surtout l’actuelle domination narrative sérielle. Quelques bribes du magnifique Chant du cygne lanceront la ténébreuse lanterne magique, la vieille actrice voletant comme une âme morte dans les coulisses du théâtre sous le regard du fils disparu. Cela n’est évidemment pas un contresens mais c’est comme si d’emblée Elsa Granat nous imposait une seule et unique perspective, qui plus est essentiellement psychologisante.

Si l’on perçoit le travail d’accroche vers des thématiques contemporaines, si elles peuvent se déployer avec vigueur, ces accès de fureur du sens dans le bruit de cette mise en scène apparaissent paradoxalement bien aplatis. Arrimée à un sens univoque, la toile des passions humaines manque de profondeur de champ comme une toile peinte pour un décor. La pensée et l’émotion sont en arrêt dans l’impossibilité de se conjuguer. L’histoire est là, bien là, Treplev aime Nina, qui suivra Trigorine, qui, lui, abandonnera Arkadina avant d’y revenir, sur fond de querelle artistique et de révolte générationnelle, mais c’est comme si (et avec toute la justesse dont ils peuvent faire preuve) les actrices et les acteurs en était réduit à des hubris dans une forme ruinée. UNE MOUETTE est un crépuscule des dieux du théâtre. Cosa mentale sans doute. C’est dès l’entrée une rythmique qui est moins celle du texte que celle d’un projet et qui dans ses à-coups et ses coups de boutoir n’en finit plus de saillir sans nuance. Cette ligne de vie avance par coups de semonce et c’est un coup d’éclats permanents. Par les ellipses, les coupes, et par le jeu hyperbolique (à quelques exceptions), le modelé souple de Tchekhov se rigidifie et offre un rictus glaçant. UNE MOUETTE pourrait approcher la noirceur des traits tirés comme des couteaux chez certains expressionnistes allemands. Mais peut-être aurait-il fallu dénaturer encore plus pour atteindre à de nouvelles formes, monstrueuses mais revigorantes, (entraperçues lors de l’explosion finale de Nina), quitter absolument les rives des apparences du théâtre bourgeois, en délivrer les affects et toucher alors au cauchemar de l’existence dans une forme détachée de tout naturalisme à l’instar d’un Heiner Müller.

 

© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

 

 

UNE MOUETTE, adaptation et mise en scène d’Elsa Granat

Traduction : André Markowicz et Françoise Morvan

Dramaturgie : Laure Grisinger

Scénographie : Suzanne Barbaud

Costumes : Marion Moinet

Lumières : Vera Martins

Son : John M. Warts

Conseil à la dramaturgie : Jean-Michel Potiron

Assistanat à la mise en scène : Laurence Kélépikis

et de l’académie de la Comédie-Française :

Assistanat à la scénographie : Anaïs Levieil

Assistanat aux costumes : Aurélia Bonaque Ferrat

 

Avec : Julie Sicard Macha, Loïc Corbery, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Adeline d’Hermy, Julien Frison, Marina Hands, Birane Ba, et Dominique Parent,

 

Et les membres de l’académie de la Comédie-Française : Édouard Blaimont et Blanche Sottou

Et Tréplev enfant :

Abel Bravard*

Noam Butel*

Sandro Butel*

Marcus Grau*

Gabrielle Christophorov*

Jeanne Mitre Robin*

Suzanne Morgensztern*

Olympe Renard*

*en alternance

 

Du 11 avril au 15 juillet 2025

Durée estimée : 2h30

 

Comédie-Française (Salle Richelieu)

1 Place Colette

75001 Paris

Réservations : 01 44 58 15 15

https://www.comedie-francaise.fr/

 

Be Sociable, Share!

comment closed