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Une longue peine, mise en scène Didier Ruiz à la Maison des métallos

Avr 14, 2016 | Commentaires fermés sur Une longue peine, mise en scène Didier Ruiz à la Maison des métallos

Article d’Anna Grahm

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© Emilia Stephani-Law

Un par un des hommes vont parler de leur condition de vie en prison. Ils ont des dégaines de cowboy, se plantent face au public pour raconter leur cauchemar. Ils grattent, raclent leur mémoire cabossée. Ils ont vécu comme des morts pendant des décennies et ont survécu en s’assommant de Temesta.

Dans un puits de lumière voilée, l’un d’entre eux décrit sa cellule. La pourriture sur les murs, l’humidité, le froid, l’exiguïté. L’imagination qu’il a dû déployer pour rester debout. L’obsession pour continuer d’être un homme. Les tractions et les 6 pas de long en large qu’il fera encore et encore, tous les jours des années durant.

Les témoins se succèdent. Parlent de leur arrestation. De la torture des policiers pour obtenir des aveux. Coups, claques et autres techniques d’extorsions héritées de la guerre d’Algérie. Celui qui clame son innocence pendant sa provisoire choisit, pour se faire entendre, la grève de la faim.

Le ton est froid, la colère reste tapie. Mais le souffle parfois se fait plus court et la voix se brise. Malgré l’aspect cuirassé, il leur arrive de buter sur les mots. Affleure la désespérance. Mais comment dire la descente aux enfers, les bouts de ciel sans soleil dans la lucarne inaccessible, les pendus qu’il faut détacher. Comment vivre à 5 dans un mouchoir de poche, comment se passe la cohabitation entre détenus, comment ne pas penser au suicide. Comment ne pas devenir fou quand les mesures d’isolement total s’éternisent et qu’au mitard, il n’y a plus âme qui vive.

Celui-là a rêvé d’évasion. Il a choisi de vivre coûte que coûte. Il raconte comment il y est parvenu, ce jour de réveillon inoubliable où il a trompé la surveillance des miradors, traversé les barbelés, déchiré ses vêtements sur les tessons tranchants des murs.

Du quotidien de la prison, on découvrira les différents parloirs, les promenades à heure fixe dans la cour, les téléphones interdits qui circulent. Mais aucun d’eux ne restituera les hurlements constants, la violence, les viols, les saisons qui n’existent plus. Ils n’aborderont pas non plus les questions religieuses, les gardiens, la peur qui rôde. Ni les détenus qui s’épaulent, ni ceux qu’on tabasse. Ni comment se divisent ou s’intriquent entre elles les différentes communautés carcérales.

Et si on a la force d’étudier, on apprendra aussi que l’enfermement déboussole, isole et procède de la disparition. On sentira l’absence des proches, les traces indélébiles des manques et l’effacement de la sexualité.

Sur scène les témoignages sont fractionnés, sont les altérations du rapport au temps. Les silhouettes ressemblent à des croquis dessinés au crayon noir. Elles sont épurées, à peine visibles, presqu’abstraites. Elles glissent et laissent les choses en suspens. Quand à celles, femmes et mères, qui restent à l’extérieur, elles se rongent à l’intérieur. Elle, elle accompagne de loin, écrit tous les jours. Finit même par accepter de venir au parloir avec sa jupe en portefeuille. Mais le plus difficile c’est d’établir le contact avec les enfants. Et de réussir sa sortie. D’oublier les rancunes. Le retour à la liberté passe aussi par la réappropriation de son identité perdue.

Ici l’état des lieux de l’enfermement s’ancre dans l’autobiographie. Mais la narration individuelle se concentre uniquement sur les traumatismes personnels. Pourtant tous ces hommes détiennent un socle d’expériences qui mises en commun contribueraient à l’amélioration de la société. Oui un jour prochain les victimes pourraient être des pionniers.

Une longue peine
Mise en scène Didier Ruiz
Assistante a la mise en scène Mina de Suremain
Créateurs son Adrien Cordier et Alain Pera
Avec Louis Perego, Eric Jayat, Annette Foex, André Boiron, Alain Pera

du 12 au 17 avril 2016
mardi, mercredi et jeudi à 20h
Vendredi à 14h et 20h
Samedi à 19h, dimanche à 18h

Maison des métallos
94, rue Jean Pierre Timbaud – 75011 Paris
réservation 01 47 00 25 20
maisondesmetallos.org

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