Critique de Camille Hazard –
Dénuder cet opéra de tout apparat, enlever les couches de poudre, de costumes pesants, de décors écrasants, de gestes codés et figés pour, enfin, faire respirer le texte. Une première envie de Peter Brook, à l’aube de ce projet : transmettre par la simplicité, la clarté et l’intimité cette œuvre complète et bouleversante. À travers cette intrigue, condensée au maximum par rapport au livret initial d’Emmanuel Schikaneder, nous plongeons dans une parabole complexe aux rivages féeriques.
© Pascal Victor
Il était une fois… un jeune prince du nom de Tamino. Celui-ci rencontre Papageno après avoir survécut à l’attaque d’un serpent invulnérable. Alertée par le vacarme des cris, La reine de la nuit vient à eux. Elle voit en Tamino, un jeune prince courageux, sensible et honnête : son sang ne fait qu’un tour ! C’est lui qui ira dans le palais de Sarastro délivrer sa fille unique et chérie. Papageno présente un portrait de la jeune princesse. Tamino en tombe à l’instant même éperdument amoureux. C’est décidé, il ira délivrer Pamina, la prisonnière de Sarastro et Papageno l’aidera dans cette quête. Pour les protéger en route des forces obscures, la reine de la nuit leur remet une clochette et une flûte magiques.
Nous nous laissons tout d’abord égarer sur le chemin thématique bien connu du conte : bonne fée, méchant enchanteur, demoiselle enlevée, prince sauveur…Puis la profondeur de l’œuvre se révèle : la Flûte enchantée, mais surtout l’adaptation qu’en fait P.Brook, nous pose inlassablement les trois vielles questions qui nous hantent de l’enfance à la vieillesse : Qui je suis ? D’où je viens ? Où je vais ?
« Ô nuit éternelle !
Quand vas-tu te dissiper ?
Quand mes yeux retrouveront-ils la lumière ? »
Tamino
D’après Kant, « Les lumières représentent pour l’homme la sortie de l’immaturité dans laquelle il se trouvait plongé par sa propre faute ». Dans cette traversée, Tamino et Pamina, les deux personnages principaux, s’élancent dans un parcours initiatique sous les regards attentifs de Sarastro. S’ils veulent se retrouver et s’aimer, ils vont devoir traverser des épreuves, passer outre la mort, prouver leurs valeurs humaines et atteindre la sagesse.
© Pascal Victor
L’œuvre repose également sur les éléments de la terre : C’est tout d’abord le combat de la lumière contre la nuit. Du fait de leurs caractéristiques ou leurs défauts, chaque personnage représente un élément naturel : le feu, la terre, l’eau, le soleil… Peter Brook axe une partie de sa mise en scène à partir de ces allégories : Des branches de bambous, de différents diamètres, posés sur le sol comme seul décor. Ils sont manipulés par les deux comédiens, tantôt cage, tantôt, temple, arbres, embûches… Les costumes simples, amples et intemporels rappellent (comme dans ses précédents spectacles) des habits traditionnels indiens et japonais.
Nous baignons dans une atmosphère intimiste : un piano, quelques chanteurs lyriques et deux comédiens qui laissent les personnages raconter leur histoire : ils encadrent les situations parfois comme témoin, parfois comme guide, ils entrent et sortent de l’action en créant un va et vient de pensées chez les spectateurs.
Différents temps musicaux et dialogués : Les récitatifs en français permettent de suivre l’histoire, de profiter des comiques de situation puis nous plongeons dans le temps suspendu et sacré des chants lyriques allemands ; là encore nous tangons entre l’intérieur de la fable et les moments d’introspection. Les voix des jeunes chanteurs lyriques sont cristallines, ils nous offrent leurs chants presque à l’oreille tant la distance qui nous sépare d’eux et intime.
Dans un moment privilégié, Peter Brook condense tous les éléments de l’opéra en une forme simple et vivante. Point de pompeux, juste l’essentiel.
Une Flûte Enchantée
– Molière 2011 du théâtre musical –
D’après : la partition de Wolfgang Amadeus Mozart et le livret d’Emmanuel Schikaneder
Mise en scène : Peter Brook
Adaptation : Peter Brook, Marie-Hélène Estienne et Franck Krawczyk
Avec en alternance : Antonio Figueroa – Adrian Strooper, Agnieszka Slawinska – Lei Xu – Jeanne Zaepffel, Leïla Benhamza – Malia Bendi-Merad, Bétsabée Haas – Dima Bawab, Virgile Frannais – Thomas Dolié, Patrick Bolleire – Luc Berthin-Hugault, Jean-Christophe Born – Raphaël Bremard
Piano : Franck Krawczyk – Matan Porat
Comédiens : William Nadylam et Abou Ouologuem
Lumières : Philippe Vialatte
Travail corporel : Marcello Magni
Chef de chant : Véronique Dietschy
Magie : Célio Amino
Costumes : Hélène Patarot, Barbara Gassier, Alice François, Soussaba Ouologuem
Régisseur plateau : Arthur Franc
Surtitres : Pierre-Heli MonotDu 9 novembre au 31 décembre 2010
Dans le cadre du Festival d’AutomneThéâtre des Bouffes du Nord
37 bis rue de la Chapelle, 75010 Paris – Réservations 01 46 07 34 50
www.bouffesdunord.com