ƒƒ article de Denis Sanglard

© LSDM/Rossigneux

Voilà une mise en scène qui, au réel, casse la baraque. Soit une famille ordinaire, autrement dit névrosée jusqu’à la moelle. Une mère possessive, débordante d’amour, voir incestueuse. Un père maniaque de l’ordre et de la propreté et des lingettes en microfibre. Un fils geek, archer perdu en quête d’une révolution. Une fille lucide qui prend de la hauteur, en équilibre perpétuel, et ne cesse de vouloir fuguer. Entre ces quatre-là qui s’aiment et se haïssent tout à la fois, c’est du pareil au même, des tas de petits secrets qui font le lit des grandes tragédies familiales. Un huit clos étouffant, explosif et complétement loufoque. Bientôt il ne restera que ruine… La famille comme microcosme d’une société malade où tout se déglingue dont les Lemorand sont le symptôme exacerbé. Thibault Rossigneux signe une mise en scène jubilatoire, alerte qui donne le tournis… C’est fait de gags incongrus, de situations improbables, inquiétantes même, de menus détails insolites qui imperceptiblement signent la lente dégradation de cette famille ordinaire capable de fêter Noël un premier aout. Et de décalage en décalage il n’y a bientôt plus d’équilibre, reste la chute et le vide. Et s’il reste quelque chose d’intact au bout de cet enfer familial, c’est bien le sapin, planté là au centre, au milieu des gravats de leur vie et du plateau. C’est une véritable machine à jouer qu’offre aux comédiens Thibault Rossigneux. Une farce, un boulevard qui vire au drame social. Et comme des sales gosses talentueux ils s’en donnent à cœur joie. Elizabeth Mazev en tête qui ne rechigne pas à la tâche. Irrésistible de drôlerie, inquiétante aussi, en mère alcoolique abusive tentant, malgré les évidences et le mensonge, vaille que vaille et en vain de maintenir les apparences avec pour viatique répété comme un mantra « Une famille aimante mérite de faire un vrai repas ». Qu’elle craque et c’est toute la maison qui vacille… Gratiné aussi le père. Philippe Girard en mari et père maniaco-dépressif maniaque, adepte de l’ordre et de l’inox frotté exclusivement aux lingettes microfibre. Une folie douce, une obstination têtue qui vire à la tyrannie et cache une impuissance certaine face aux évènements. Pauline Dau et Anthony Roullier ne sont pas en reste qui composent leurs rôles d’adolescents paumés et lucides à la fois avec brio, une ironie mordante et un bonheur évident. C’est une famille formidable de talent et de complicité. On rit beaucoup et bientôt jaune dans ce décor -elle est importante la scénographie, il serait dommage de ne pas en parler- en noir et blanc qui vire au rouge. Une famille aimante mérite de faire un vrai repas est une heureuse surprise. Ajoutons notre couvert. Bon appétit !

Une famille heureuse mérite de faire vrai repas de Julie Aminthe
Mise en scène, Thibault Rossigneux
Avec Elizabeth Mazev, Philippe Girard, Pauline Dau, Anthony Rouillier
Scénographie, Thibault Rossigneux & Xavier Hollebecq
Création sonore, Christophe Ruetsch
Costumes, Camille de Galzain
Assistant à la mise en scène, Thibault lecaillon
Directeur technique, Jules Poucet

Le Montfort Théâtre
106 rue Brancion
75015 paris
Du 17 au 28 mai 2016
Du mardi au samedi à 19h30
Matinées les jeudis 19 et 26 à 14h30
Réservations :01 56 08 33 88
www.lemonfort.fr

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