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ƒƒƒ article de Corinne François-Denève
L’image choisie pour l’affiche d’Une chambre à poil mérite le détour, et le commentaire. Un agneau, que l’on reconnait être l’Agnus Dei de Francisco de Zurbarán, (1635-1640), a les pattes attachées – la tête est en dehors du cadre. « Comme une brebis, il fut conduit à l’abattoir ; comme un agneau muet devant le tondeur, il n’ouvre pas la bouche », indique la peinture. Ici, il ne s’agit pas tant d’indiquer la souffrance des bêtes sacrifiées, comme un regard plus moderne, et plus séculier, aurait tendance à le voir ; l’animal, pour le peintre baroque, est bien sûr symbolique. Il représente évidemment Jésus, prêt au sacrifice pour enlever le péché du monde. En s’approchant de plus près de l’affiche du spectacle, on note toutefois que « ce mouton aux pattes attachées » a été tagué. La bestiole, sur le flyer, est présentée de manière oblique, et non à plat sur une table, comme c’est le cas dans le tableau, de telle sorte que son fondement pointe vers le coin droit de l’image. Et un farfadet malicieux a dessiné, sortant de l’anus dei, l’expression d’une délicate flatulence.
L’image est décidément très bien choisie, et est véritablement celle du spectacle. Les dix premières minutes d’Une chambre à poil suscitent en effet l’angoisse de la critique. Une standupeuse s’empare du micro, et commence à aligner des calembours lacaniens et scatologiques d’une colossale vulgarité, avant de se livrer à quelques gestes obscènes avec son micro. Les interactions avec le public sont poussives, gênées et gênantes. On se dit avec une terreur rentrée (car on est au premier rang) que le temps va être long, et la critique difficile. La Virginia Woolf annoncée est une Virginia Woolf « out of joint », non point tant « désaxée », ou « sortie de ses gonds » qu’à bout de joint(s) ou de fumette. Mais cela ne va pas se passer comme cela : le moment de « gênance » est voulu, et fait partie de l’écriture du spectacle, très intelligente et très fine. Il s’agit bien de provoquer le malaise, et de conduire le public sur une fausse piste, pour mieux l’emmener avec soi.
Très vite, en effet, nous voici embarquées dans autre chose : un stand up, oui, qui en adopte les codes extérieurs seulement – micro, adresses, prise à partie des spectateurs et spectatrices ; sans jamais les forcer. Sauf qu’il n’y a pas de canevas sur lequel la comédienne improvise, mais un « vrai » spectacle, certes formé de « sketchs » mis bout à bout, mais avec une telle maestria qu’on en reste pantois. Le propos de la pièce est bien à trouver chez Virginia Woolf, comme l’indique le titre. La conférence de Woolf, donnée (en stand up ?) devant des étudiantes, dans les années 20, et ensuite publiée, parle de la nécessité, pour que « naisse » une femme auteur, d’avoir un lieu à soi et quelques guinées de rente. Le texte évoque aussi « Judith », la potentielle sœur de Shakespeare, qui aurait rêvé d’être autrice, mais devant laquelle toutes les portes se sont fermées et qui, violentée, a été enterrée à Londres, à Elephant and Castle, « là où passent maintenant les omnibus ». Shakespeare, d’ailleurs, n’est pas absent de la pièce : « the world is out of joint » (en un sens : le monde ne tourne pas bien rond) est la maxime du spectacle.
« Le monde est dégondé » : le spectacle l’est aussi, qui transgresse avec splendeur les genres et les catégories. La formidable comédienne, Roxanne Roux, passe d’une séquence à l’autre, d’un personnage à l’autre, d’une humeur à l’autre, avec un talent qui force l’admiration. Elle maitrise comme personne les ruptures de ton. Comment aurait-on pu imaginer qu’une chanson paillarde, interprétée avec la folie burlesque et désespérée d’une clownesse, finisse par arracher des larmes ? Car l’agneau de l’affiche est de fait peut-être une agnelle. Une chambre à poil évoque Woolf, et est forcément un spectacle « féministe », post #MeToo. Il place le corps des femmes au centre. Il montre les assignations, les souffrances, les empêchements des femmes d’hier et d’aujourd’hui, pour se clore sur un espoir de sororité.
Le costume, les lumières, tout est absolument maitrisé. Le texte est un joyau, dit par une comédienne exceptionnelle – Roxanne Roux – say her name. (Sinon, ça commence à 21h pétantes – on avait envie de faire un calembour aussi, oui).
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Une chambre à poil, d’après Virginia Woolf, écrit par Roxanne Roux et Marie Cahu
Mise en scène par Roxanne Roux
Collaboration artistique : Marie Cahu & Victor Roy
Création Lumière, Sonore & Vidéos : Victor Roy
Dramaturgie : Marie Cahu
Avec Roxanne Roux
Du jeudi 3 avril au jeudi 5 juin 2025 à 21 h
Durée 1h
Attention : langage explicite, contenu sensible, stroboscopes
Théâtre la Flèche
77 rue de Charonne
75011 Paris
Réservations : 01 40 09 70 40
www.theatrelafleche.fr
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