Critiques // « Un Tramway Nommé Désir » de Tennessee Williams à la Comédie Française

« Un Tramway Nommé Désir » de Tennessee Williams à la Comédie Française

Fév 13, 2011 | Aucun commentaire sur « Un Tramway Nommé Désir » de Tennessee Williams à la Comédie Française

Critique de Rachelle Dhéry et Bettina Jacquemin

Le tramway quitte les rails

Après une longue séparation, Blanche DuBois décide de rendre visite à sa sœur Stella, qui vit dans un quartier populaire de la Nouvelle-Orléans, avec son mari Stanley Kowalski, un polonais impulsif, rustre mais bel homme. Blanche est alors tiraillée entre l’attirance primitive qu’elle éprouve pour son beau-frère et le mépris de sa situation. Originaire d’une famille aisée, elle ne comprend pas que Stella accepte cette union qui la déclasse. D’une attitude hautaine, elle se met rapidement à dos Stanley, lequel, par réaction au fait que Blanche ait perdu la demeure familiale, tente de percer les secrets qui la hantent. De jours en jours, l’ambiance s’alourdit, entre Blanche, obligée de rester malgré elle dans cet univers inconfortable, Stella, qui attend un enfant et Stanley qui ne supporte plus sa belle-sœur. De la manière la plus sordide, ce dernier parvient à percer les mystères du passé sombre et glauque de Blanche et réduit ainsi à néant la nouvelle vie qu’elle tentait de reconstruire…

Pour la première fois en 330 ans d’existence, la Comédie-Française a décidé d’accueillir une pièce américaine, sous l’impulsion de Muriel Mayette, Administrateur et Présidente du Comité de Lecture du Théâtre Mythique. Et, pour ce faire, elle a choisi l’oeuvre « Un tramway nommé désir », de Tennesse Williams (1911-1983), mondialement connue et rendue célèbre, en 1951 grâce au film d’Elia Kazan (1909-2003), réalisateur et chef de file de L’Actors Studio et dont les personnages étaient interprétés par Marlon Brando et Vivien Leigh,. La mise en scène est confiée à Lee Breuer, metteur en scène de renom, réalisateur, compositeur et fondateur de la Compagnie Mabou Mines, troupe avant-gardiste qui explore les liens entre le théâtre et les autres arts.

Une œuvre majeure, un lieu unique, des moyens conséquents, un metteur en scène ambitieux, des acteurs excellents, ce cocktail aurait dû nous plonger directement au cœur d’un spectacle inoubliable et exceptionnel. Mais le mélange a pris un goût d’esbroufe. Au programme, amertume et frustration.

Une esbroufe visuelle et sonore

La scénographie et les décors sont spectaculaires, époustouflants, magiques, grandioses… Au cinéma, il s’agirait sans conteste d’une “grosse production”. Mais voilà, ici, l’ensemble dissimule un véritable joyau de poésie et de tragédie, un texte de génie, en somme. Quel dommage ! Les plateaux tournent, se succèdent tour à tour, se juxtaposent, disparaissent et ressurgissent selon les tableaux. Des silhouettes servent le décor, la scène et les comédiens, tout comme chez Ariane Mnouchkine. Les costumes sont superbes et les étoffes précieuses. Des estampes japonaises et des marionnettes manipulées par des hommes visibles, choix esthétique de Basil Twist, collaborateur artistique et scénographe, tentent de dépeindre l’esprit du Mississipi d’avant la Guerre de Sécession.

Le japonisme présent dans la pièce dans les estampes, les costumes, les accessoires et le personnage de Blanche est excessif et semble aller à l’encontre de la tradition japonaise, véritable invitation à la sérénité. Nous sommes loin d’une atmosphère épurée. L’accumulation des effets de fumée, l’utilisation de micros HF, la musique qui recouvre parfois les dialogues, l’illustration récurrente des émotions des personnages ou de leurs actions sur les estampes conduisent à une réelle distanciation. Les effets trop nombreux empêchent l’empathie et l’émotion. Et, ce qui semblait de prime abord une invitation à la poésie, au voyage et à l’orientalisme devient, à force de profusion d’un ennui palpable. La confrontation naturalisme / abstraction dans la direction d’acteurs, dans la mise en scène et dans la scénographie provoque la confusion et renforce la distanciation.

Malgré l’excellence des comédiens, la lecture des personnages est rendue difficile, ils oscillent en effet entre un jeu cinématographique proche de L’Actor’s Studio, un jeu clownesque ou mécanique et un autre déchiré entre poésie et surréalisme. La Blanche précieuse d’Anne Kessler ne nous émeut pas et le Stanley cartoonné d’Eric Ruf est difficilement crédible. Mention spéciale cependant à Grégory Gadebois. Il incarne un Mitch saisissant de fragilité et de vérité.

Il faut toutefois noter que la musique rend un hommage plutôt réussi, sans être transcendant, au blues, au jazz et au ragtime, fruits des mélanges de la Nouvelle-Orléans. Les intermèdes musicaux prennent leur souffle sur les didascalies de l’auteur et ponctuent habilement la narration. Les chants et les instruments évincent malheureusement parfois un peu trop le texte.
La beauté des mots ainsi que la réelle destinée des personnages passent au final au second plan, une réelle impression d’esbroufe visuelle et sonore.

Un tramway nommé désir
De : Tennessee Williams
Texte français : Jean-Michel Déprats
Mise en scène :  Lee Breuer
Avec : Anne Kessler, Éric Ruf, Françoise Gillard, Christian Gonon, Léonie Simaga, Bakary Sangaré, Grégory Gadebois, Stéphane Varupenne, et l’élève-comédien de la Comédie-Française Samuel Martin, et Mathieu Spinosi, Pascale Moe-Bruderer, Gauderic Kaiser, John Margolis
Collaboration à la mise en scène et scénographie : Basil Twist
Collaboration artistique : Marie-Claire Pasquier
Dramaturgie : Maude Mitchell
Costumes : Renato Bianchi
Lumières : Arnaud Jung
Musique originale et direction musicale : John Margolis
Collaboration artistique pour le mouvement : Jos Houben
Maquillages et coiffures : Beth Thompson
Assistant à la mise en scène et interprète : François Lizé

Du 5 février au 2 juin 2011

Comédie Française
Place Colette, 75 001 Paris
www.comedie-francaise.fr

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