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Un barrage contre le Pacifique, de Marguerite Duras, adapté et mis en scène par Anne Consigny, au Studio Hébertot, Paris

Nov 07, 2024 | Commentaires fermés sur Un barrage contre le Pacifique, de Marguerite Duras, adapté et mis en scène par Anne Consigny, au Studio Hébertot, Paris

 

© Denis Manin

 

ƒƒƒ article de Nathalie Tambutet

La file de spectateurs s’allonge derrière les poteaux de guidage dans l’attente d’entrer dans la salle. C’est la première représentation à Paris et elle affiche complet. Surgit une femme souriante, qui vient saluer un à un chaque spectateur. C’est Anne Consigny la comédienne qui se présente au public, le remercie d’être là, pour voir sa pièce, son bébé : « le spectacle de sa vie ».

La scène est sobre : fond noir, côté cour un escabeau, à l’avant du jardin, un chapeau de paille est posé au sol. La comédienne occupe la scène, le temps que les retardataires s’installent. Elle échange et plaisante avec le public. C’est sa façon à elle de se préparer et de gérer le stress qui monte.

Pas de levée de rideau, une prise de parole au micro en fond de scène, dos au public, est à l’image d’une annonce d’un plan de tournage au cinéma. Le film peut commencer. Celui qui va retracer la vie de la « Mère », celle de Joseph et Suzanne.

Il débute par la narration rétrospective du contexte de l’histoire et de la présentation des personnages par Anne Consigny.

La mère de Joseph, qui a vingt ans, et de Suzanne, qui en a seize, est partie avec leur père, comme instituteur et institutrice, dans une ancienne colonie française, l’Indochine avant leur naissance. Au décès du père, la mère se retrouve seule en charge de ses enfants. Elle a alors assumé plusieurs métiers en même temps pour subvenir aux besoins de sa famille : cours de français, cours de piano. A la fin de sa carrière, avec le peu d’argent accumulé sur tant d’années de travail et de restriction, elle décide d’acheter une concession afin de pouvoir la cultiver pour nourrir sa famille et ainsi offrir de meilleures conditions de vie à ses enfants. L’espérance d’un avenir meilleur est l’espoir porté par cette mère, son combat. Elle achète une concession à l’administration coloniale située dans la plaine du Ram, face à la mer. La petite famille y vit dans une maison sur pilotis de fortune. Cette concession s’avère incultivable, inondée par la mer à chaque saison de récolte.

Alors, cette Mère va imaginer un projet extravaguant, à la hauteur de son espoir et de ses combats : dresser à ses frais des barrages, protégeant les concessions des colons et des indigènes de la mer afin de la contenir. En juillet, ces barrages seront détruits par la marée. La nature est plus forte que l’espérance d’une vie.

L’espérance guide la Mère. Elle combat la nature pour s’adapter et survivre. Elle combat, sans le savoir, la manipulation de l’administration coloniale qui se fait de l’argent sur les colons et indigènes en vendant des concessions incultivables. Elle découvre, à ses dépens, une nature humaine plus féroce que la nature. C’est au-delà d’un face à face de la Mère face à la mer. Un au-delà de l’attente et de l’espérance. Un au-delà de l’imagination.

Un seule en scène magistralement orchestré par Anne Consigny, qui nous transmets la beauté de l’écriture de Marguerite Duras, sa saveur. Elle est la narratrice et va habiter chaque personnage, s’habiller de leurs émotions et de leur corporéité. Elle les fait dialoguer, danser devant nous. Nous les voyons, les identifions, nous nous identifions à eux. Nous découvrons leur personnalité, leur jeunesse insouciante et leur mère à travers eux. Nous entrons dans leurs âmes en plein Pacifique face à la mer.

Nous découvrons une mère, qui de combat en combat, va d’échec en échec, de désespoir en espoir. Nous découvrons des enfants sauvages, livrés à eux-mêmes. Une famille isolée en pleine nature hostile, la plaine du Ram. L’effondrement du barrage marque la fin de l’espérance de la Mère mais pas la fin du combat ni de l’histoire. Survient la rencontre avec Monsieur Jo.

Le combat de cette femme témoigne de la condition féminine de l’époque, de ces femmes invisibles, de ces vies de survie. Ce récit est également celui de la dénonciation des pratiques abusives dans les colonies : malhonnêteté, corruption, avidité.  « Une désespérée de l’espoir même ». La mise en scène simple reflète les conditions de vie de cette femme : dénuement, pauvreté, isolement. Elle révèle son combat. Les âmes humaines se dévoilent.

 

© Denis Manin

Un barrage contre le Pacifique, de Marguerite Duras

Mise en scène d’Anne Consigny

Avec Anne Consigny

Assistante mise en scène : Cécile Barreyre

Conception lumières : Patrick Clitus

Costume : Cidalia Da Costa

Conseillère Artistique : Pascale Consigny

 

Durée : 1h25

Du 31 octobre 2024 au 12 janvier 2025

Jeudi, vendredi et samedi : 19h. Dimanche 17h

 

Studio Hébertot

78 bis, boulevard des Batignolles

75017 Paris

Réservation : 01.42.93.13.04

contact@studiohebertot.com

 

 

 

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