Critiques // « Ubu Roi » d’après Alfred Jarry, mise en scène Franck Berthier au Vingtième Théâtre

« Ubu Roi » d’après Alfred Jarry, mise en scène Franck Berthier au Vingtième Théâtre

Sep 10, 2010 | Aucun commentaire sur « Ubu Roi » d’après Alfred Jarry, mise en scène Franck Berthier au Vingtième Théâtre

Critique d’Evariste Lago

L’enfant roi, la folie des grandeurs.

25 avril 1896. La pièce Ubu Roi, d’Alfred Jarry, est publiée dans le Livre d’art. Œuvre satirique, parodique et décalée jusqu’à l’absurde racontant la folle histoire de père Ubu, « capitaine de Dragons, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l’ordre de l’Aigle Rouge de Pologne et ancien roi d’Aragon.» Tout commence par un repas où « l’andouille » et la « merdre » sont les plats principaux et le capitaine Bordure l’invité primordial. Mère Ubu a réussi à convaincre son andouille de mari de conspirer pour détrôner le roi de Pologne, Venceslas, ce qui lui permettrait de « manger fort souvent de l’andouille » et de se « procurer un parapluie. » Le ton est donné, l’assassinat accompli. Seuls la reine et l’un de ses trois fils, Bougrelas, échappent au carnage et se réfugient dans les montagnes. Le froid polonais est terrible et la reine n’y résiste pas. Bougrelas se jure alors de venger sa famille. Ubu, devenu roi, néglige les conseils avisés de mère Ubu : il refuse de donner le titre de duc de Lituanie à son complice le capitaine Bordure et s’enferme dans la mesquinerie. Il inaugure ensuite une période de réformes politiques et financières, reposant principalement sur l’assassinat des nobles, l’appropriation de leurs biens et l’enrichissement personnel.

© Greg Zibell

La vie est belle pour le père et la mère Ubu, jusqu’au moment où le tsar de Russie envahit la Pologne et jette père Ubu sur son cheval pour aller combattre. Mère Ubu en profite pour récupérer la régence et voler le trésor de père Ubu qui connait des fêtes et défaites. Elle-même chassée de Varsovie, elle retrouve père Ubu dans une grotte. Bougrelas, non las, le bougre, de vouloir récupérer sa couronne, les talonne jusqu’à ce qu’ils décident de la lui abandonner pour embarquer et espérer se faire nommer « maître des phynances à Paris. »

« L’Etat c’est moi »

De finances, il en est question tout au long de la pièce. Thème ô combien à la mode et contemporain. L’œuvre étant satirique et absurde, il aurait été facile de faire un parallèle et de critiquer les politiques françaises du moment. Heureusement, cet écueil a été assez bien évité et laissé aux metteurs-en-scène à la vue courte et obnubilée. On acquiescera à l’indication ironique donnée par Franck Berthier : « toute ressemblance avec la réalité ou des personnages réels ne serait que pure fiction… », tant il est évident de voir dans ces deux petits protagonistes des Staline, des Ceausescu et autres Pol Pot. Il serait stupide de l’appliquer aux démocrates que nous avons porté au pouvoir. Jean-Philippe Ecoffey, qui tient magistralement, et tout du long, ce personnage, tente bien quelques mimiques présidentielles, mais rien de très appuyé et gras. La visée ne semble pas être là : elle s’intéresse au pouvoir et à l’argent mais de manière universelle. Père Ubu dit très justement : « S’il n’y avait pas de Pologne, il n’y aurait pas de Polonais, » sous entendu s’il n’y avait pas de pouvoir et d’argent, il n’y aurait pas de contre-pouvoir, avide des mêmes travers.

La mise en scène de Franck Berthier met l’accent sur ces points au travers de la blancheur du décor et des costumes en contraste avec le discours. La multitude des lieux dans la pièce de Jarry est transposée sur un unique décor immaculé, occupé par un paravent et une structure métallique bâchée. Tout est blanc et pur, et la neige qui jonche le sol semble amortir toute la bassesse humaine. Les acteurs s’en donnent à cœur joie pour faire vivre leurs sombres personnages. Mère Ubu, campée par l’époustouflante Marie Christine Letort, mélange de rigidité à la S. Royal et B. Chirac, nous propose une interprétation forte et juste d’une femme commune devenant monstre d’avidité.

A ceux qui crient aux loups, qui ne retrouvent que la politique du Président et ne voient que les autres dans ce personnage, il faut leur rappeler que Jarry disait : « Monsieur Ubu est un être ignoble, ce pourquoi il nous ressemble. […] Il est un enfant terrible que personne n’ose contredire. » Eh bien oui, Ubu roi, parle de pouvoir et d’argent, de NOTRE pouvoir et de NOTRE argent, à nous, petits tyrans de tous les jours. N’oublions pas que dans les démocraties tous les citoyens sont l’Etat et n’essayons pas de nous bander les yeux pour ne voir que le mal chez les autres. Ce qui est bien ici, c’est que, selon l’auteur, « Vous serez libres de voir en Ubu les multiples allusions que vous voudrez ». Ça, c’est la liberté.

Ubu Roi
D’après : Alfred Jarry
Mise en scène : Franck Berthier
Avec : Jean-Philippe Ecoffey, Marie-Christine Letort, Teresa Ovidio, Patrick Palmero et Jean-Pierre Poisson
Assistante à la mise en scène : Katia Soshalskaya
Adaptation et dramaturgie : Stéphane Guérin, Franck Berthier
Costumes : Aurore Popineau
Lumières : Mireille Dutrievoz
Réalisation sonore et musicale : Éric Dutrievoz, Christophe Allegre
Scénographie : Franck Berthier, Aurore Popineau
Construction décors : instinct’taf

Du 9 septembre au 31 octobre 2010

Vingtième Théâtre
7 rue des Plâtrières, 75 020 Paris
www.vingtiemetheatre.com

www.uburoi-lespectacle.com

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