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Tropique de la violence, texte de Nathacha Appanah, adaptation et mise en scène de Alexandre Zeff, Théâtre de la Cité Internationale

Sep 03, 2021 | Commentaires fermés sur Tropique de la violence, texte de Nathacha Appanah, adaptation et mise en scène de Alexandre Zeff, Théâtre de la Cité Internationale

 

© Jules Beautemps

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Mayotte, département français. Île oubliée où règne la pauvreté la plus extrême. Sur les plages de sables fins des lagons, ils sont des milliers de migrants venus des îles Comores à débarquer au péril de leur vie. Clandestins voués à la misère, à la précarité, au chômage, que représente le plus grand bidonville de l’île, Kaweni, surnommé Gaza. À peine débarquée et mourante, une jeune mère confie son fils Moïse à une infirmière. Marie, stérile, élève cet enfant. Mais Marie meurt l’année des quinze ans de Moïse. Perdu, à la recherche de ses racines, Moïse rejoint Gaza où s’entassent trois milles mineurs isolés, livrés à eux-même et sur lesquels règne Ismaël, dit Bruce, dit Batman, qui accueille Moïse « à la parole blanche ». Ismaël qui revendique sa négritude, sa condition de paria, de migrant, et impose avec force à Moïse de rejeter son héritage blanc, son métissage culturel. L’aide d’un jeune humanitaire, Stéphane, involontairement va mener cette confrontation sans issue à la tragédie.

Alexandre Zeff s’empare du roman de Nathacha Appanah avec une conviction chevillée au corps, l’importance de cette langue poétique capable d’exprimer la violence la plus noire, un engagement politique et social sans jamais verser dans le cliché ni le jugement. C’est d’ailleurs la force de cette mise en scène immersive de ne jamais prêter le flanc à la morale. Il n’y en a pas ici, il ne peut y en avoir. Seuls comptent les faits dans leur brutalité portée par un contexte complexe et singulier et terriblement, tristement d’actualité. Et que la mise en scène interroge, expose avec acuité. Mayotte au final n’est que la version exacerbée de ce qui se passe ici en Europe, un concentré de nos problématiques actuelles et l’abandon de notre humanité.

Alexandre Zeff signe donc une mise en scène où fusionnent avec maestria le verbe, le chant, la musique et la vidéo. Fusion oui, car tout s’interpénètre et se répond sans heurt aucun. Une mise en scène hybride mais pas chaotique, sans lourdeur, au centre de laquelle éclate la puissance, voire sa violence, du verbe poétique de Nathacha Appanah que portent haut et avec sensibilités les acteurs tout autant immergés dans ce texte brûlant et explosif, projetés dans une mise en scène qui les transcende. Vidéo, musique, chant, c’est une mise en abyme vertigineuse du récit, comme exacerbé, soudain dilaté. Les percussions insensées et rageuses de Yuko Oshima, en direct, ponctuent par la transe cette tragédie contemporaine. Transe qui un instant traversera Moïse. Et pour exprimer davantage encore cette atmosphère délétère, une bande son qui étreint et menace. Parfois le réel entre par effraction dans cette fiction, Kaweni filmé dans sa sordide réalité, comme pour ne pas détacher tout à fait le récit de sa source et donner à la scénographie, un cabanon entouré de terre, d’eau, d’ordures, résumé cinglant de Mayotte, une matérialité tangible. C’est d’ailleurs une des forces de cette mise en scène de ne pas céder au tout virtuel mais d’insérer chaque élément, même les plus abstraits, avec précision et justesse, au cœur d’une réalité exprimée par ce texte. Précision que l’on retrouve dans la direction d’acteurs au centre de ce dispositif, de cette mise en scène qui les exhausse, certains « effets », certaines images, n’étant qu’une extension de leur personnage, de leur vérité, de leur non-dit, de leur rêve, de leurs échecs. Mais ils donnent sans barguigner leur poids de chair et de souffrance, d’impuissance. Sans pathos, rien qu’une troublante vérité, jusque dans sa violence, puisée dans ce texte dont ils expriment le suc et la poésie âpre.

 

© Jules Beautemps

 

Tropique de la violence de Nathacha Appanah

Adaptation et mise en scène de Alexandre Zeff

Scénographie et lumière Benjamin Gabrié

Collaboration artistique Claudia Dimier

Dramaturgie Noémie Regnaut

Création vidéo Muriel Habrard et Alexandre Zeff

Création musique et son Yoko Oshima, Vincent Robert, Guillaume Callier, Mia Delmaë

Costumes Sylvette Dequest

Maquillage et effet spéciaux Violette Conti, Sylvie Cailler

Collaboration chant Anaëlle Bensoussan

Chorégraphie de combat Karim Hocini

 

Avec Mia Delmaë, Thomas Durand, Koffi Kwahulé, Mexianu Medenou, Alexis Tieno

Musicienne Yuko Oshima

 

Du 13 au 24 septembre 2021, lundi et vendredi à 20 h, mardi, jeudi et samedi à 19 h, dimanche à 16 h 30.

 

 

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