Critiques // « Tristesse animal noir » de Anja Hilling, mise en scène Guy Delamotte au Théâtre de l’Aquarium

« Tristesse animal noir » de Anja Hilling, mise en scène Guy Delamotte au Théâtre de l’Aquarium

Fév 06, 2015 | Commentaires fermés sur « Tristesse animal noir » de Anja Hilling, mise en scène Guy Delamotte au Théâtre de l’Aquarium

ƒƒ Article d’Anna Grahm

 

 © Tristan Jeanne-Valès

© Tristan Jeanne-Valès

 

Un petit van Volkswagen crapahute sur les routes de campagne. La voix d’une enfant sur la bande-son accompagne l’image, son innocente fraicheur à la Jean-Pierre Jeunet raconte ce souffle de liberté, la découverte des grands espaces enfin retrouvés, suggère le dos d’un scarabée, effleure les mystères cachés de la nature. Le petit van suit le lacet du chemin qui s’est rétréci, le trajet a été un peu plus long que prévu mais sur l’écran, ne transparaît que l’ébauche d’un charmant road-movie, mais sur le film n’est révélé qu’une certaine désinvolture.

Ce ne devait être qu’un pique-nique, un simple week-end en forêt. Mais avant d’arriver au cœur du sujet, on dit le respect de ce l’on voit. Les verts tendres, les insectes invisibles dans les pins, les odeurs de terre qui s’exhalent. Arrive sur le plateau, sur un carré de verdure, une petite troupe d’amis, hommes femmes et enfant, des quadras bruyants, les bras chargés de victuailles et de glacières. Rien que des guillerets gâtés de la ville qui entendent bien changer d’air.

Pendant qu’on débouche les bières, prépare le barbecue, pendant qu’un couple s’isole dans les sous-bois, on parle après maternité, la vie professionnelle foutue, on évoque un vernissage et on déclare qu’avant de mourir on veut : un voyage en Afrique, du sexe et des articles dans les journaux. Les bières s’enchaînent et les propos se relâchent. Grattant le vernis de l’amitié. Ainsi ils violent le silence sacré, ainsi ils souillent de leurs sales bavardages, la beauté des lieux. Jusqu’à l’épuisement, jusqu’à ce qu’ils n’aient plus d’histoires à raconter, jusqu’à ce que les caisses de bouteilles vides soient ramassées et que le silence revienne enfin. Dans la nuit tombante, les corps s’alignent sur la mousse. Au cœur de la forêt.

Mais sur l’écran derrière eux, le calme nocturne inquiète, les feuilles font des ombres crantées et la pleine lune est filmée en gros plan. Comme un œil planté sur eux.

Ils sont arrachés du sommeil par un bruit épouvantable, une épaisse fumée les enveloppe et sur l’écran et sous leurs pieds, les reflets oranges de l’incendie. Les voilà debout, hébétés, terrifiés, plantés dans leurs couvertures de survie et derrière eux sur l’image, leurs squelettes radiographiés. Ils sont comme des marrons dans le feu, sentent la suie, la sueur, la peur, la chaleur dingue, les yeux qui brûlent, l’azote, le manque d’air dans les poumons. Des détails en cascades s’accumulent, des cloques sur la peau, des cheveux qui s’enflamment, des branches calcinées, la tentative de sauvetage du bébé dans le van avant qu’il n’explose. Tout est dit, de façon clinique, face public, tout est disséqué d’un phrasé chirurgical, la projection des corps, l’errance sur le sol rongé de braises, tout est épluché sur le même rythme monocorde. La sortie de la fournaise, le chacun pour soi. La description de l’horreur dérange, par sa précision, sa poétique, qui frôle parfois la complaisance.

Mais la mise en scène de Guy Lamotte canalise son chœur antique, l’empêche de verser dans le pathos. Et fait pénétrer cette douleur insoutenable, cette écriture qui se déploie sans pitié, jusque sous nos épidermes. Parce que la folle destruction danse d’abord sur l’écran, qu’elle traverse des corps troncs immobiles, elle embrase les consciences.

Dans l’espace qu’il redessine avec des rouleaux de plastique, vient le temps d’enterrer les morts, amis, animaux et pompiers, vient aussi le temps d’assumer sa légèreté, de reconnaître son inconscience et sa responsabilité. Et le blanc immaculé des dernières scènes ne peut effacer les fautes, ni les lâchetés humaines. Mais fait tout au contraire remonter les cendres déposées à jamais dans les mémoires.

 

Tristesse animal noir
Texte Anja Hilling
Mise en scène Guy Delamotte
Scénographie Jean Haas
Vidéo Laurent Rojol
Avec Véro Dahuron, Olivia Chatain, Thierry Mettetal, Mickaël Pinelli, Alex Selmane, Timo Torikka

Du 3 au 15 février 2015
du mardi au samedi à 20h30, dimanche à 16 h

Théâtre de l’Aquarium
Route du champ de manœuvre – 75012 Paris
M° Château de Vincennes
Réservation 01 43 74 99 61
www.theatredelaquarium.com

Be Sociable, Share!

comment closed