À l'affiche, Critiques // Tristan et Isole, de Richard Wagner, direction musicale de Daniele Gatti, Mise en scène de Pierre Audi, Théâtre des Champs-Elysées

Tristan et Isole, de Richard Wagner, direction musicale de Daniele Gatti, Mise en scène de Pierre Audi, Théâtre des Champs-Elysées

Mai 16, 2016 | Commentaires fermés sur Tristan et Isole, de Richard Wagner, direction musicale de Daniele Gatti, Mise en scène de Pierre Audi, Théâtre des Champs-Elysées

ƒ article de Denis Sanglard

TRISTAN ET ISOLDE - Compositeur et livret : Richard Wilhelm WAGNER - Mise en scene : Pierre AUDI - Direction musicale : Daniele GATTI - Chef de choeur : Stephane PETITJEAN - Dramaturgie : Willem BRULS - Scenographie et costumes : Christof HETZER - Lumieres : Jean KALMAN - Video : Anna BERTSCH - Avec : Torsten KERL (Tristan) - Rachel NICHOLLS (Isolde) - Orchestre National de France - Choeur de Radio France - Le 30 04 2016 - Au Theatre des Champs Elysees - Photo : Vincent PONTET

© Vincent Pontet

Tristan et Isolde de Wagner est-il un opéra au sens traditionnel du terme ? Il n’y a pas à proprement parler d’action. Mais une méditation sur l’amour dont le deuxième acte dans son incandescence et l’assomption d’Isolde, la Libestod, dans le troisième atteint une profondeur inouïe. Méditation sur l’amour et son corolaire, la mort. C’est un opéra radical dans son dépouillement, son épure narrative extrême et musicale. Lyrique certes mais sans débordement.

C’est sans doute cela qui a handicapé le metteur en scène qui visiblement ne semble pas faire confiance à tant de modernité. N’osant pas accompagner le radicalisme de l’oeuvre, son abstraction, il tente dans un contre-sens total de l’éclater, lui donner une dimension opératique absolument. Le faire entrer dans un moule qui n’est pas pour cet opéra le bon. Et sans réflexion véritable semble-t-il, sans parti-pris affirmé, tombe dans tous les travers du genre, les clichés afférents. Les chanteurs ne savent que faire sur le plateau, ça se déplace beaucoup, errent d’un point à l’autre, et sans raison aucune. Des mouvements artificiels qui jamais ne se justifient. Jusqu’au ridicule. Tristan à l’agonie ne cesse de se relever, d’aller et venir, de s’effondrer. Tout cela finit par parasiter le chant. Par lasser. Le deuxième acte justement, réflexion sur l’amour et l’amour de l’amour, aurait sans nul doute mérité un autre traitement que cette agitation agaçante, ces allers et venues qui ne sont même pas fébrilité inquiète de deux être épris d’absolu. Mieux même, alors que l’orchestre dirigé par Danielle Gatti, accuse avec justesse combien cet instant est aussi un moment de tension charnelle, sensuelle et même sexuelle, Tristan et Isolde n’ont jamais été physiquement aussi loin l’un de l’autre et ne se touchent absolument pas. Cela peut se concevoir mais pourquoi tant d’agitation quand l’amour est à ce point sublimé ? Il suffit de faire confiance au livret et à la partition. Dans le troisième acte lors du Libestod, instant d’une intensité dramatique lumineuse, Isolde est à contre jour, et de sa transfiguration rien n’apparaît alors que Rachel Nicolls fait montre d’un sens dramatique certain. Et tous cela dans une scénographie lourde qui hésite entre abstraction et réalisme toc. De panneaux coulissants encombrants et bruyants. Dans le deuxième acte on hésite entre la forêt pétrifiée et le cimetière des éléphants…

Reste heureusement un casting impeccable, exceptionnel, rompu à Wagner, et de haute tenue. Jusque dans les seconds rôles. Steven Humes, au timbre sombre mais clair, dans le roi Marke est d’une profondeur égale à sa douleur. Brett Polegato, Kurwenal, allie un sens du jeu et une voix percutante, fougueuse et maîtrisée. Michelle Breedt est une Brangaine puissante à la voix très large. Rachel Nicholls dont la voix reste égale de bout en bout, une voix splendide, la projection claire, aux aigüs sans peine donne à son Isolde une fraîcheur, une juvénilité dans le premier acte, qui sans disparaître se métamorphose en une assurance, une grâce devant l’amour. Loin d’un hiératisme, d’une figure figée, elle fait osciller son personnage dans une palette de couleurs riche d’émotion. Qui atteint son acmé lors du Libestod. On regrette alors cette obscurité qui l’enveloppe, ce contre-jour incompréhensible au moment de cette transfiguration…Torsten Kerl sans doute plus handicapé par son jeu scénique rudimentaire compense par une voix au timbre éclatant mais lui aussi capable de subtiles variations. C’est un couple qui ose la sobriété même si on les sent en lutte avec la scénographie. Ce ne sont pas des héros, en cela c’est intéressant, mais deux amants pris dans une histoire qui les dépasse. Ils offrent à leurs personnages une humanité bouleversante. Dans l’ensemble la distribution compense hautement par sa qualité le désastre d’une mise en scène indigente. On pourrait être surpris, et certains dans la salle le furent, huées comprises, par la direction d’orchestre de Daniele Gatti. Surpris qu’il laisse des silences s’installer. J’ignore si cela participe d’une audace stylistique mais cela laisse résonner dans ces courts intervalles la partition qui ainsi respire. Et puis cette attention aux chanteurs, aux voix, à l’équilibre entre l’orchestre et le plateau est significative d’une recherche, d’une symbiose entre la voix, le texte et la musique. Sa direction fouille la partition dans ses limites pour en tirer des nuances et des contrastes qui peuvent choquer mais propose une lecture tentant d’approcher au plus près du projet de Wagner. Même si il n’y a pas eu de révolution ce soir-là au Théâtre des Champs-Elysées, il reste un moment musical que marquèrent quelques belles intuitions et fulgurances.

Tristan et Isolde
de Richard Wagner
Direction musicale Daniele Gatti
Mise en scène Pierre Audi
Dramaturgie Willem Bruls
Scénographie et costumes Christof Hetzer
Lumières Jean Kalman
Vidéo Anna Bertsh

avec Torsten Kerl (Tristan), Rachel Nicholls (Isolde), Michelle Breedt ( Brangaine), Steven Humes (le roi Marc), Brett Polegato (Kourvenal), Andrews Rees (Melot), Marc Larcher (un berger, un jeune marin), Francis Dudziak (un timonier)

Orchestre National de France
Choeur de Radio-France
12, 15, 18, 21, 24 mai 2016, 18h

Théâtre des Champs-Elysées
15, avenue Montaigne – 75008 Paris
réservation 01 49 52 50 50
www.theatredeschampselysées.fr

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