© Jean-Louis Fernandez
ƒ article de Toulouse
S’inscrivant dans l’épopée arthurienne, la célèbre tragédie de Tristan et Isolde nous compte la passion adultère de deux amants légendaires. En 1865, Wagner interrompt la composition longue et fastidieuse du Ring, pour que sa musique puisse enfin être entendue à la cour de Bavière. C’est alors qu’il s’empare de ce récit celtique qui cristallise son projet de tourner l’opéra en drame musical.
Dans cette version présentée au Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence, on y entend l’audace wagnérienne comme jamais. La direction musicale de Simon Rattle donne à cet opéra mille nuances, réveillant à la fois la force des éléments et les passions humaines. C’est un véritable orchestre cosmique et déchaîné qui nous ébranle de plein fouet. La subtilité et la finesse musicale de Simon Rattle nous fait à la fois entendre le souffle du vent, le gémissement de la tempête, le murmure de ces amants au cœur de la nuit, et fait raisonner toute cette « volupté de l’enfer », pour reprendre les mots de Nietzsche à l’égard de l’œuvre de son contemporain dont il admirait particulièrement le génie musical.
Les voix des chanteurs s’inscrivent elles aussi dans cette puissance cosmique et sont, dans l’entièreté de la distribution, de grande qualité. On distinguera néanmoins Nina Stemme qui touche l’excellence par sa force vocale, aussi subtile qu’explosive. Très distribuée dans le répertoire wagnérien, elle fait d’Isolde un personnage aux figures plurielles, dont la voix envoûte comme celle d’une sorcière, crie et enrage comme la guerrière, et exulte d’extase comme l’amoureuse dans les bras de l’amant. Elle fait avec Stuart Skelton un duo d’un âge avancé (et c’est là tout l’intérêt de la relecture de ce mythique adultère), qui conserve cependant toute la fougue et l’ardeur des passions d’un amour juvénile et naissant. Le philtre d’amour, objet du drame faisant basculer l’histoire, opère ici à merveille autant pour eux que pour le spectateur qui les écoute langoureusement s’extasier.
Il n’est pas de même, malheureusement, de la mise en scène de Simon Stone. Tout semble en effet orchestré pour aplatir l’action, les enjeux, la beauté musicale, et la tension qui se joue dans les corps. La modernité qu’il transpose dans le récit, qui a souvent le mérite de faire redécouvrir les chefs-d’œuvre de la musique classique sous un nouvel angle, dessert ici, du début à la fin, le fil dramaturgique de l’opéra. Tout son concept et sa stratégie dramaturgique a sans doute été mal pensé et très peu travaillé. Le premier acte, dans cette transposition, marche à peu près avec l’histoire, quoi qu’elle rend parfois anecdotique certaines scènes jouissant à l’origine de bien plus d’éclats et de relief. Mais à partir du deuxième acte, et ce jusqu’à la fin de l’opéra (4 h 40 en tout avec entracte, faut-il préciser ?), tout est là pour nous faire trépigner d’ennui. La scénographie, monumentale et coûteuse, s’avère ici un désastre qui bloque le corps des chanteurs de toute organicité, et impose au spectateur (en fonction de sa place dans le théâtre) la réduction scandaleuse et quasi-totale de son champ de vision. Les interprètes ne sont pas dirigés et semblent stationner, comme perdus dans l’espace, à la manière de statues qui attendent que les heures passent…
Un des rares, voir le seul, geste de mise en scène intéressant, reste celui d’avoir dupliqué plusieurs duos de Tristan et Isolde, par le biais de figurants représentants les différents âges de l’amour. Tristan et Isolde les contemplent au milieu d’un open-space, et cela rend vaguement moins ennuyeux le plus long des duos d’extase amoureux de l’histoire du répertoire lyrique.
Simon Stone, pour cette fois, semble manquer cruellement d’inventivité. Cela n’est pourtant pas le cas dans sa mise en scène d’Innocence (une création mondiale de Kaija Saariaho), qu’il présente en parallèle dans cette même édition du Festival d’Aix et qui, précisons-le, s’avère remarquable et que nous encourageons grandement à aller applaudir.
Ainsi, acclamé pour une mise en scène d’opéra et huée le soir de la première pour une autre, Simon Stone fait décidément la balance des deux extrêmes dans ce festival. En ce qui concerne Tristan et Isolde, on y est bien en fermant les yeux pour y savourer la magie de la direction musicale et des voix. Peut-être alors aurait-il mieux fallu en faire une version concert ou léguer ce chef-d’œuvre dans les mains de quelque autre metteur en scène.
© Jean-Louis Fernandez
Tristan et Isolde opéra de Richard Wagner
Direction musicale : Sir Simon Rattle
Mise en scène : Simon Stone
Interprétation : Stuart Skelton (Tristan), Nina Stemme (Isolde), Jamie Barton (Brangäne), Josef Wagner (Kurwenal), Franz-Josef Selig (König Marke), Dominic Sedgwick (Melot), Linard Vrielink (Ein Hirt / Stimme eines jungen Seemanns), Ivan Thirion (Ein Steuermann)
Figurantes et figurants : Clément Amézieux, Sarah Anthony, Laetitia Beauvais, Elia Ben Nafla, Sidney Cadot-Sambosi, Edgar Chermette (enfant), Céline Deest, Latifa Elatrassi, Laurent Ernst, Antoine Fichaux, Jean-Marc Fillet, Ali Himene, Samuel Karpienia, Inès Latorre, Laurie Ravaux, Timothé Rieu (enfant), Leila Saadali, Franck Soussou, Ruddy Sylaire, Emile Yebdri
Chœur : Estonian Philharmonic Chamber Choir
Chef de Chœur : Lodewijk van der Ree
Orchestre : London Symphony Orchestra
Scénographie : Ralph Myers
Costumes, concept original : Mel Page
Costumes, créations additionnelles : Ralph Myers, Blanca Añón García
Lumière : James Farncombe
Vidéo : Luke Halls
Chorégraphie : Arco Renz
Assistant à la direction musicale : Gregor Amadeus Mayrhofer
Chefs de chant : Levi Hammer, Rupert Dussmann
Assistants à la mise en scène : Robin Ormond, Ewa Rucinska
Assistante à la scénographie : Blanca Añón García
Assistante aux costumes : Angèle Mignot
Du 2 au 15 juillet 2021 à 18 heures
Grand Théâtre de Provence / Festival International d’Art Lyrique d’Aix en Provence
380 Avenue Max Juvénal, 13100 Aix en Provence
Téléphone 08 20 922 923
https://festival-aix.com/fr
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