© Simon Gosselin
ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Phèdre chantée.
L’idée peut surprendre, voire pourrait rebuter les amateurs des vers de Racine, quelques-uns servant de support au texte de Trézène Mélodies. L’histoire de Phèdre en chansons, accompagnés de fragments de la poésie de Yannis Ritsos. Le rapprochement des deux auteurs peut dérouter. Racine avait déjà adapté Euripide en conservant bien néanmoins la chronologie du mythe d’origine, tandis que Ritsos réduit sa Phaedra à la scène de l’aveu en la situant dans l’époque à laquelle il a écrit, c’est-à-dire au milieu des années 1970 après la Dictature des colonels qu’il a personnellement subie.
Ce n’est pas la première fois que le plus grand poète grec contemporain est utilisé en miroir d’une tragédie antique. Antoine Vitez, en 1971 à Nanterre, avait déjà puisé dans la poésie de Yannis Ritsos pour accompagner sa deuxième mise en scène d’Electre de Sophocle. Phaedra elle-même a été mise en scène plusieurs fois en France.
Trézène Mélodies. L’histoire de Phèdre en chansons présenté en ce mois de mars à la presse et aux professionnels reprend une précédente version de Cécile Garcia Fogel, créée en 1996 au Théâtre de la Bastille et au Théâtre de Sartrouville, qui lui avait valu le prix de la critique pour la Révélation théâtrale de l’année. Le nombre d’artistes a, dans cette recréation, été diminué (de 8 à 3) et la place de Racine a été réduite pour accueillir des fragments du Mur dans le miroir et du Phaedra de Ritsos.
La première originalité de ce spectacle résulte donc du mélange des textes du tragédien français du XVIIème et du poète national grec du XXème, ce qui peut égarer plus d’un spectateur, en tout cas ceux qui ne connaîtraient aucun des deux textes. La seconde originalité est d’avoir osé le chanter, ce qui peut contribuer à perdre encore davantage le public non averti ou choquer les puristes.
Et pourtant la magie opère. Le très beau travail de scénographie et de lumière (chaude ou écrasante) accompagnant l’excellent guitariste Ivan Quintero qui suit au plus près les voix de Cécile Garcia Fogel et Mélanie Menu, en des rythmes syncopés et parfois circulaires et répétitifs, produit un spectacle d’une étonnante justesse. Les éléments de décor sont réduits à une dizaine de chaises en bois, une longue corde et un peu de cendre qui n’évoquent pas en particulier la ville de Trézène, et même au contraire créent une atmosphère insolite, un peu hors du temps et de tout espace connus, mais esthétiquement très expressive.
La dramaturgie est convaincante. Le spectacle se déroule de manière extrêmement fluide à la fois dans les enchaînements de duos et trios chantés et la complémentarité des voix, Mélanie Menu se distinguant tout particulièrement en offrant une large palette vocale qui s’installe et s’affirme rapidement, mais aussi dans les gestuelles des deux comédiennes (et même du guitariste) précisément chorégraphiées. De fait, le travail sur le corps résonne avec la lettre (« Ton corps je le sais comme un poème appris par cœur que j’oublie sans cesse – la chose au monde la plus inconnue la plus changeante la plus inconcevable, c’est le corps humain ») et l’esprit (l’attirance irrépressible de Phèdre pour le jeune Hyppolite) du texte.
Bien accompagné en amont, le spectacle pourrait même être pédagogique et faire apprécier le mythe de la fille de Minos et Pasiphaé à la jeune génération en soulignant l’intemporalité de son propos et en dépassant les paradoxes des passions humaines où la sensualité (qui se répand subtilement au fil du spectacle) dispute à la pureté des sentiments en dépit de leur immoralité…
© Simon Gosselin
Trézène Mélodies. L’histoire de Phèdre en chansons., Racine et Ritsos
Mise en scène Cécile Garcia Fogel
Scénographie et costumes Caroline Mexme
Lumières Olivier Oudiou
Musique Cécile Garcia Fogel
Avec :
Cécile Garcia Fogel, Mélanie Menu, jeu et chant
Ivan Quintero, guitare et voix
Durée 1 h
Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier
75014 Paris
www.theatre14.fr
Représentations publiques prévues sous réserve du contexte sanitaire dans la région des Hauts-de-France et au musée Würth-Erstein en avril 2021
comment closed