Critiques // « Trahisons » d’Harold Pinter, mise en scène Serge Onteniente aux Déchargeurs

« Trahisons » d’Harold Pinter, mise en scène Serge Onteniente aux Déchargeurs

Avr 03, 2010 | Aucun commentaire sur « Trahisons » d’Harold Pinter, mise en scène Serge Onteniente aux Déchargeurs

Critique de Bruno Deslot

L’échappée des faux-semblants

L’amant, le marie et sa femme…Une recette éculée du genre vaudevilesque qu’Harold Pinter dépasse pour nous offrir un regard féroce sur les relations amoureuses.

La langue de Pinter se déploie comme une partition, avec une forte musicalité dont il n’est pas évident de rendre compte en français. Une écriture laconique, précise et dont le style n’est pas facile à saisir tant pour les comédiens que pour le metteur en scène. L’enjeu est colossal pour dépasser, comme le fait l’auteur avec une grande subtilité le simple vaudeville ou la tragédie bourgeoise, et libérer la parole avec concision, force et précision. Car les protagonistes du drame n’ont rien d’extraordinaire, tout comme l’histoire d’ailleurs. L’essentiel est ailleurs et c’est aux comédiens d’aller le chercher pour emporter le public dans ce huis clos oppressant et incisif.

© Ifou | Le Pôle Media

Deux ans après leur rupture, Emma et Jerry se retrouvent dans un bar pour évoquer les souvenirs d’un passé qui porte en filigrane toutes les raisons de leur complicité. Une situation délicate au cours de laquelle un récital de lieux communs débute pour faire entendre la douleur d’une trahison à peine perceptible. Emma Downs, mariée à Robert, éditeur à succès et meilleur ami de Jerry, agent littéraire, n’est autre que la maîtresse de ce dernier. Emma apprend à Jerry qu’elle a avoué leur liaison à Robert, un aveu qui lève le voile sur la complexité d’un triangle amoureux dont la géométrie dessine les angles morts de la trahison conjugale et amicale. Entre espoir, désir, passion, amitié, travail, respect de l’autre et attachement familial où est la trahison et de quelle manière se révèle-t-elle ?

Une histoire d’amour à rebours

Harold Pinter s’empare d’une aventure banale pour l’ériger en un monument de tartuferie où la trahison est difficilement lisible. Procédant par feed-back, il met en abîme l’histoire d’une liaison qui pose la question du secret pour les trois protagonistes du drame. Un style d’écriture que Serge Onteniente exploite comme un scénario pour sa mise en scène qui s’apparente à une succession de plans séquences dans lesquels les comédiens jouent la carte du naturel à outrance. Un parti-pris tout à fait justifié qui fait entendre le texte avec une exceptionnelle justesse et une remarquable acuité. Le metteur en scène privilégie l’instantané et brise les codes du théâtre et l’on ne peut s’empêcher de penser qu’il a été l’assistant réalisateur de Jacques Audiard, car l’ambiance si singulière qu’il restitue sur le plateau est caractéristique des films d’Audiard.

© Ifou | Le Pôle Media

Une scène dépouillée, faisant l’économie de décors inutiles, laisse davantage la place à la parole des comédiens qui doivent l’enchaîner avec un certain rythme, celui de la vie malgré tout. Quelques cubes, servant de sièges, canapés, ou tables occupent l’espace scénique éclairé par une lumière d’une extrême simplicité, mettant l’accent sur un découpage des situations qui donne du sens à la rétrospective. Serge Onteniente a bien compris que l’auteur remonte l’histoire de sa fin à sa source et privilégie les moments intenses au cours desquels les heures de joie, de malaise, de déception et de complicité coexistent. Mais la langue de Pinter ne propose pas quelque chose de confortable pour l’acteur. Elle est proche d’un langage parlé affirmant un caractère écrit, une langue particulière que les acteurs doivent s’approprier, quitte à bousculer leurs habitudes. Philippe Hérisson s’empare du texte avec une aisance époustouflante, un naturel dérangeant, il est incarné dès lors qu’il entre en scène mais largement desservi par ses camarades de jeu qui créent quelques dissonances dans cette partition aussi complexe. Laetitia de Fombelle, d’une grande justesse avec sa voix de bronze, ponctuée de légers chuintements, propose un jeu qui s’essouffle malgré tout car l’ensemble est trop inégal. Philippe de la Villardière cherche encore des effets de styles qui pourraient l’aider davantage à être Robert, mais il est à côté de son personnage, enchaînant les répliques à la hâte comme pour s’en débarrasser. L’ensemble de la proposition s’essouffle bien vite et le déplacement des cubes noirs, servant de décors, n’est pas justifié, imposant une rupture de rythme dans une pièce pour laquelle on est en permanence sur le fil.

Trahisons
De : Harold Pinter
Traduction : Eric Kahane
Mise en scène : Serge Onteniente
Avec : Laetitia de Fombelle, Philippe Hérisson, Philippe de la Villardière, Fernando Scaerese

Du 30 mars au 8 mai 2010

Théâtre les Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs, 75 001 Paris
www.lesdechargeurs.fr

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