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« Trahisons » de Harold Pinter, spectacle de tg STAN, Théâtre de la Bastille

Juin 19, 2015 | Commentaires fermés sur « Trahisons » de Harold Pinter, spectacle de tg STAN, Théâtre de la Bastille

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

tgstan® Paul De Malsche

« Trahisons » de Pinter, histoire d’un adultère, d’une relation à trois bien plus trouble qu’il n’y parait. C’est d’une formidable perversion, d’une incroyable cruauté. C’est une dissection minutieuse, subtile de la nature humaine et des relations entre individus. Mais la structure dramatique particulière de « Trahisons » », le fait de commencer à rebours, partir de la fin et terminer par le début de cette histoire, trouble d’emblée notre regard. Rien n’est vraiment assuré. Pinter nous dupe avec une habilité diabolique. De scènes en scènes nous sommes amenés toujours à reconsidérer les liens qui unissent les trois personnages sans jamais vraiment être certain de la vérité exprimée. Un étrange effet de domino où chaque scène au regard de la précédente fait tomber nos fragiles certitudes. Comme les personnages, on avance ainsi de mensonges en soupçons, de soupçons en trahisons. C’est une mécanique de vaudeville sophistiquée et subtilement tordue. tg STAN s’empare de cela avec une évidente gourmandise, avec ce sourire en coin qui caractérise un des piliers de la compagnie, Frank Vercruyssen, ici le mari. Et comme toujours avec cette compagnie flamande on joue sans vraiment jouer tout en jouant. Là aussi c’est retors. Une impression (fausse) d’improvisation. Rien ne semble préexister. La pièce semble s’écrire sous nos yeux. Et s’inventer la scénographie. Entre silence, hésitation, emballement. Et avec Pinter ça marche du feu de dieu. Les acteurs raclent Pinter jusqu’à l’os. Lui apportent sans pincette une modernité brute et formidable de justesse. La langue de Pinter, directe et sans fard, économe, sied bien à cette formidable compagnie et à ce jeux si particulier qui peut au premier abord déstabiliser. L’acteur et la langue, dont ils font leur miel, sont le centre du plateau. Plateau vide. La scénographie est de l’ordre de « la citation ». Le lit, symbole de l’adultère, ironiquement est relégué au lointain cours du plateau, collé au mur et ne sert au final que de garde-robe à Emma. Une table et deux chaises suffisent bien pour voyager de Venise à Londres. Et ça et là quelques trouvailles heureuses. Des livres – nous sommes chez un éditeur – empilés à l’avant-scène que l’on range à jardin, tome après tome, scène après scène, 9 en tout, comme autant de chapitres d’une vie passée que l’on clôt. On boit aussi, beaucoup. Classique bourgeois mais tous ces verres à moitié vides –ou pleins- qui s’entassent étrangement au fur et à mesure à l’avant-scène seront le décor de cette fête qui vit l’adultère démarrer. Mais cette vaisselle sale c’est aussi ce qui semble rester de cette histoire… Les fonds de verres sont toujours tristes et amers. Et les déplacements d’objets sont aussi l’occasion pour les personnages de se croiser et d’ajouter à leurs jeux. Le mari qui, plantant le décor où s’installent les amants, croise inévitablement sa femme et son meilleur ami, corse indirectement la situation certes mais ajoute aux non-dits qui rongent les personnages. Troublante ambiguïté de déterminer qui des comédiens ou des personnages à cet instant se croisent. Ah le petit sourire de Frank Vercruyssen à Jolente De Keersmaeker – à moins que cela ne soit celui de Robert à Emma – pendant qu’il installe chaises et tables… Car qui sait quoi ? Comme Jerry furieux d’apprendre que Robert n’ignorait rien de sa liaison… Il n’y a au final rien qui ne fasse obstacle entre le texte et le jeu. Et quel jeu… Jolente De Keersmaeker, Robby Cleiren et Frank Vercruysen forment un trio épatant qui vous dégraisse Pinter avec intelligence, subtilité et s’engouffrent dans le texte mais aussi les non-dits, les ambiguïtés fumeuses des personnages avec une gourmandise non feinte. Sans boursoufflure, sans en rajouter, fidèles au texte, c’est d’une simplicité et d’une efficacité redoutable. C’est rapide et net. Une ligne claire qui ne s’embarrasse pas de détails superflus. Et une distance qui sied bien ici et avec justesse à l’ironie mordante de Pinter. Car si tout ça, si fluide, semble si léger cela atteint au final une profondeur insoupçonnée.

« Trahisons » texte de Harold Pinter
De et avec, Robby Cleiren, Jolente De Keersmaeker, Frank Vercruyssen
Version française, Eric Kahane
Lumières, Thomas Walgrave
Costumes, Ann D’Huys
Technique, Tim Wouters
Décor, tg STAN

Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette
75011 Paris
Du 15 juin au 5 juillet à 20h
Le dimanche à 17h
Relâche les 20, 21, 27, 28, 29 et 30 juin
Réservations : 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

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