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Toute la vérité, Théâtre déplié, création collective, mise en scène par Adrien Béal, T2G

Fév 15, 2021 | Commentaires fermés sur Toute la vérité, Théâtre déplié, création collective, mise en scène par Adrien Béal, T2G

 

© Martin Argyroglo

 

 

ƒƒ article d’Emmanuelle Saulnier-Cassia

Toucher, voir, sentir, entendre, goûter, c’est cela Toute la vérité, création collective du Théâtre déplié, mis en scène par Adrien Béal qui vient ainsi offrir la troisième partie de sa trilogie (après perdu connaissance et Les Pièces manquantes). Les cinq sens s’exposent ou plutôt sont explorés à travers ce qui paraît être au départ des histoires de famille, mais qui en réalité sont une petite histoire de l’Humanité, vue sous l’angle de la sexualité.

Le désir et la sexualité sont bien au cœur de cette nouvelle pièce, dans une perspective s’inspirant des explorations foucaldiennes sur la recherche de vérité, moins comme un instrument véritable de pouvoir au sens où Foucault en fait un moyen de domination, que comme une méthode permettant d’interroger notre rapport à la moralité, une sorte d’appropriation éthique, culturellement façonnée.

Car il ne s’agit pas de parler simplement de sexualité, mais de certains tabous, en particulier les relations incestueuses.

La première scène s’ouvre sur le monologue d’une sœur qui vient avec son frère cadet d’enterrer leur aîné. Ce contexte offre le cadre de l’exploitation du premier sens : le toucher. L’analyse par la sœur du défunt du contact corporel qui lui a été imposé par l’institutrice des enfants de ce dernier offre un contraste saisissant avec l’intimité physique qu’elle découvre et expose dans le même temps avec son frère cadet. La tactilité non sexualisée et furtive mais non consentie avec un corps étranger bienveillant, perçue comme une véritable agression physique, s’oppose à la sensualité assumée du frère et de la sœur qui s’étant pris dans les bras pour se consoler, finissent par s’embrasser sur la bouche, naturellement, comme deux amoureux.

Que faire de ce baiser ? Comment l’expliquer ? Il est étudié, disséqué, décortiqué par les conjoints de chacun qui ont assisté à la scène. Y-a-t-il eu la langue ? Qu’est-ce que cela change qu’il y ait eu ou non la langue ? Un baiser fraternel peut-il basculer dans quelque chose de sensuel, sexuel ?

Comment l’expliquer autrement que par le désir ? Or le désir peut-il exister de manière consentie entre un frère et une sœur ? On entre à pieds joints dans le tabou, celui des relations incestueuses et pire encore pour l’intellectualisation de la « chose » dans des relations incestueuses pleinement consenties. Comment l’entourage, en particulier familial, peut-il poser un regard sur cette transformation de ce qui était une famille ? La mère peut-elle rester la mère de cet homme et de cette femme qui étaient, avant qu’ils ne forment un couple, un frère et une sœur ? En affirmant qu’ils sont devenus un couple n’ont-ils pas renoncé à être frère et sœur ? La fille elle-même peut-elle continuer à voir sa mère comme sa mère ? C’est donc bien une question de regard(s).

Et le collectif mené par Adrien Béal, faisant travailler au plateau ses comédiens, parvient avec un naturel déconcertant à faire passer ce message du regard et du désir. Ils sont présents en permanence sur scène, accompagnés par une création musicale d’instruments à vent qui rythme les changements de tableaux dans un décor un peu chaotique fait de cloisons, table, chaises et couvertures multiples, permettant une circulation fluide.

Le spectateur est surpris, dérouté ; lui aussi mis en position de voyeur. Le baiser au premier plan, puis la description par la voisine de la nuit d’amour d’un couple, dont elle a analysé les moindres râles, tout comme la perception de l’enfant, pétrifié en voyant ses parents faire l’amour et leur racontant sa surprise devant leurs morceaux de corps, lesquels parents, surpris qu’il n’ait pas été dégoûté, lui demandent d’oublier.

Au bout de cette heure et demie qui ne semble pas totalement aboutie mais encore en pleine recherche, le spectateur peut se sentir un rien perdu, en tout cas en proie à de nombreuses interrogations et perceptions d’influences philosophiques et sociologiques diverses. On peut ainsi ressentir bizarrement quelque chose de spinozien dans le message « béalien ». L’ancienne fratrie devenue couple semble avoir réorienté consciemment ses désirs vers ce qui est conforme à sa nature, même si cette conformité ne correspond pas aux normes sociales qui l’entourent. Le désir vient s’ajouter à la raison, vient ajouter à la volonté de l’esprit, la volonté du corps. Il agit comme une compensation. Il comble un vide (ici la perte du frère aîné) en faisant surgir un espoir et une joie (un amour qui n’est plus que fraternel avec en quelques sortes le frère survivant).

Cet écartèlement entre les préjugés sociaux dont chacun est plus ou moins façonné et l’empathie devant la jubilation de ce couple inédit poursuit longtemps le spectateur après qu’il ait quitté la salle et se retrouve plongé dans ce qu’il se représente comme la vraie vie et sa propre perception et poursuite du désir.

 

© Martin Argyroglo

 

 

Toute la vérité

Mise en scène Adrien Béal

Dramaturgie Yann Richard

Scénographie Anouk Dell’Aiera

Costumes Marine Delayre

Lumière Jean-Gabriel Valot

Musique François Merville

Son et régie générale Martin Massier

Assistanat mise en scène Fanny Gayard

Collaboration artistique/production Fanny Descazeaux

 

Avec :

Caroline Darchen, Pierre Devérines, Adèle Jayle, Julie Lesgages, Etienne Parc, Cyril Texier

 

Durée 1 h 30

 

T2G, Théâtre de Gennevilliers – Centre Dramatique National

Plateau 2

41 avenue des Grésillons, 92230 Gennevilliers

www.theatredegennevilliers.fr

 

Tournée prévue à ce jour en 2021 :

Festival Théâtre en mai ; Théâtre Dijon-Bourgogne-CDN

 

 

 

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