À l'affiche, Critiques // Tosca, de Giacomo Puccini, mise en scène de David Bobée, Théâtre des Arts – Opéra de Rouen Normandie

Tosca, de Giacomo Puccini, mise en scène de David Bobée, Théâtre des Arts – Opéra de Rouen Normandie

Mar 10, 2020 | Commentaires fermés sur Tosca, de Giacomo Puccini, mise en scène de David Bobée, Théâtre des Arts – Opéra de Rouen Normandie

 

© Arnaud Bertereau

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Les histoires d’amour finissent mal en général. Et n’intéressent à vrai dire pas vraiment David Bobée. Dans Tosca ce qui lui importe c’est avant tout le contexte qui broie cet amour tragique. Floria Tosca et Mario Cavaradossi sont victimes d’un pouvoir totalitaire que représente l’impitoyable Scarpia. À travers ces deux amants c’est la République romaine qui est symboliquement écrasée. En trois actes David Bobée met à nu les rouages de toute dictature, la mécanique du totalitarisme, les principes de toutes dominations. Au premier acte dans un lieu où la culture a remplacé le culte, une église désacralisée où expose Cavaradossi, le premier geste de Scarpia, après avoir manipulé Floria Tosca, est de lacérer les toiles du peintre avant de les rassembler pour un autodafé. Image forte et violente, imparable. Tout pouvoir autoritaire impose censure, persécutions des artistes, destruction de la culture. La culture considérée comme acte de résistance. Et c’est cette résistance là qu’il faut briser. En brisant Tosca, dans le second acte, c’est l’artiste qu’il détruit et c’est la femme qu’il domine. Car les femmes sont aussi un enjeu de pouvoir et de domination. Dans cet espace clos, sans horizon autre qu’une porte ouvrant sur une chambre de torture, ce bunker étroit qui exacerbe la tension tant sexuelle que haineuse, la tragédie se noue. David Bobée ose la brutalité absolue, sans fard et sans crainte. Ne se contente pas du symbolique, une grenade fendue par un poignard et dont on boit le jus, mais impose un réalisme cru, prend au pied de la lettre les paroles de Scarpia qui préfère prendre par force que séduire. Tosca est violée avant même toute négociation. Scène inouïe et brutale, inattendue, qui vous tétanise. L’air qui suit immédiatement, « vissi d’arte, vissi d’amore » prend alors une toute autre valeur, un chant douloureux, de défaite, sublimé ici par son interprète.

En s’attaquant à Tosca, objet de haine cynique plus que de désir réel, David Bobée souligne combien dans ce monde-là les valeurs sont inversés, c’est à l’art que Scarpia s’attaque, réduisant Tosca à un corps purement sexué, érotique, objet de plaisir et de jouissance pas même consentis, niant sciemment sa dimension artistique, la dépouillant de son chant. Appliquant en toute logique la culture du viol propre à tout régime tyrannique. Tosca réunit en elle tout ce qu’un pouvoir totalitaire abhorre, être artiste et femme, libre et résistante. En forçant Tosca c’est un pays qui est forcé, anéanti. Plus qu’avec Caravadossi elle est le point nodal autour duquel se cristallise l’aversion d’un régime autocratique et patriarcal représenté par Scarpia, pour toute forme de liberté et dont les femmes sont les premières victimes. Tosca, le corps de Tosca et sa destruction deviennent un enjeu politique. Une politique qui ne laisse derrière elle que ruine. Au troisième acte dans ce même décor du premier dont il ne reste plus rien, s’écroulant avec fracas devant nos yeux comme tombe toute espérance, Caravadossi est fusillé parmi les gravats de ce qui fut un lieu de culture, là où brûlèrent ses toiles… La boucle est bouclée. Mais les fusils sont également tournés vers la salle. Au travers de lui, c’est tout un peuple qui est menacé, c’est nous qui sommes mis en joue. Glaçant ! La mort de Tosca, magnifique idée, est plus une assomption qu’une chute, ultime épiphanie d’une résilience par-delà la mort. David Bobée signe une mise en scène dépouillée de tout apparat opératique. Se débarrasse de tout romantisme empesé, de toute référence historique pesante, pour une lecture radicale, universaliste plus que contemporaine. David Bobée interroge l’ouvrage, partant du livret, dans ce qu’il révèle de dysfonctionnement du politique livré à la barbarie d’un régime totalitaire, broyant les individus. Une mise en scène cohérente, sans esbroufe, sèche et souple comme un coup de trique qui vous cingle salement, où le discours engagé ne l’emporte jamais sur l’ensemble de l’ouvrage mais se nourrit de lui et de ses interprètes.

Et ce qui frappe c’est l’engagement des chanteurs dans ce projet, dirigés au cordeau. Leur appréhension de cette mise en scène à laquelle tous semblent adhérer sans réserve comme libérés des clichés et du carcan traditionnel afférent à l’œuvre. Comme toujours avec David Bobée le collectif importe. Et ce que l’on ressent immédiatement c’est bien cette cohésion sur le plateau. Latonia Moore, voix ample, souple et riche, incarne Tosca dans ses pleins et déliés avec un engagement total, tant vocal que physique. Incarnation d’une grande justesse, elle donne véritablement corps à Tosca, sans aucune réserve, jusqu’à la brûlure. C’est dans le second acte, la confrontation avec Scarpia, qu’elle donne toute la mesure de son talent, de la subtilité de son interprétation, de sa grande expressivité toute en nuance. Kostas Smoriginas, voix puissante et chaude campe un Scarpia hiératique, marmoréen, glacial. Un jeu intériorisé, voire minimaliste, évitant avec bonheur tout effet. Le parfait salaud et sans une once de vulgarité. Andréa Carè, Cavaradossi, n’exacerbe pas ses sentiments mais offre une grande douceur qui séduit. Avant de vous bouleverser au dernier acte. La distribution dans son ensemble, il faudrait tous les nommer, est de haute tenue. Le chœur Accentus encore une fois fait merveille. Et la direction musicale d’Eivind Guldberg-Jensen précise, attentive à toutes les nuances de la partition, joue sans lourdeur de la tension dramatique imposée à la fois par Puccini et David Bobée.

 

© Arnaud Bertereau

 

Tosca de Giacomo Puccini

Opéra en trois actes, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après la pièce de Victorien Sardou

Direction musicale Eivind Gullberg-Jensen

Mise en scène et scénographie David Bobée

Scénographie Aurélie Lemaignen

Costumes Sabine Siegwalt

Lumières Stéphane Babi-Aubert

Création vidéo et visuels Wojtek Doroszuck

Assistant direction musicale Benjamin Laurent

Assistante mise en scène Corinne Meyniel

Régie de production Marina Niggli, Sophie Kaminski

Avec Latonia Moore, Andrea Carè, Kostas Smoriginas, Jean-Fernand Setti, Camille Tresmontant, Antoine Foulon, Laurent Kubla, Vincent Eveno, Armand Brunet / Marin Guyot Fima

Chef de chœur Christophe Grapperon

Chef de chant Frédéric Rouillon

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie

Orchestre Régional de Normandie

Chœur Accentus / Opéra de Rouen Normandie

 

 

Rouen, Théâtre des Arts

Les 4, 6, 10 et 12 mars à 20 h

Le 8 mars à 16 h

 

Réservations 02 35 98 74 78

www.operaderouen.fr

 

En tournée

Théâtre de Caen

Le dimanche 14 juin 16 h

Le mardi 16 juin 20 h

Le jeudi 18 juin 20 h

www.theatre.caen.fr

 

 

 

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