À l'affiche, Critiques // Tordre, Chorégraphie de Rachid Ouramdane, Théâtre de la Ville avec le Théâtre de la Cité Internationale / Festival d’Automne à Paris

Tordre, Chorégraphie de Rachid Ouramdane, Théâtre de la Ville avec le Théâtre de la Cité Internationale / Festival d’Automne à Paris

Mar 26, 2020 | Commentaires fermés sur Tordre, Chorégraphie de Rachid Ouramdane, Théâtre de la Ville avec le Théâtre de la Cité Internationale / Festival d’Automne à Paris

 

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© Patrick Imbert

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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Tordre où le portrait sensible de deux danseuses exceptionnelles. Deux solos, deux interprètes qui se croisent, contrepoint et miroir l’une de l’autre. Tordre c’est, avant le mouvement, une injonction : tordre les préjugés. Affirmer sa différence. Une histoire de corps métamorphosés par l’art et le mouvement, au sens propre comme au sens figuré. Lora Juodkaite, petite poupée sur pointe articulée, qui tourne, tourne inlassablement, vertigineusement, sur elle-même et depuis l’enfance pour calmer sa douleur, tordre la réalité, l’enchanter, être libre. Tourner pour trouver un nouvel et fragile équilibre. Annie Hanauer qui danse avec une prothèse de bras articulée devenue constitutif de son corps et de sa danse. Cela commence avec une pointe d’humour et d’ironie, une ouverture musicale qui hoquette, répétée comme un gag, celle Funny Girl. Et ces deux-là qui sur le plateau entrent en trombe encore et encore comme deux girls de music-hall sauf que… sauf que les archétypes, le modèle de la danseuse de cabaret ou de comédie hollywoodienne n’est pas tout à fait au rendez-vous. Parce que ce qui va être raconté, dansé sur ce plateau blanc et nu, c’est une autre histoire. Un autre point de vue, plus intime et corrosif. Lora Juodkaite et Annie Hanauer, au commencement, ne cessent de se désarticuler, chacune et tour à tour à leur façon, comme si elles démantibulaient consciencieusement la danse pour l’emmener vers un autre champ. Comme si elles tordaient, secouaient dans tous les sens la danse attendue, le mouvement convenu et le corps pour l’intégrer en douceur et avec maîtrise vers ce qui les constituent, elles, et dont elles font un champ de gravité et de force, d’expérimentation de soi. De la danse originelle ne reste que lambeaux, souvenirs mémorielles. Et c’est dans cette articulation et cette désarticulation, corolaire l’une de l’autre, ce basculement, cette oscillation de l’un à l’autre, que s’opère la métamorphose. Dans cet entre-deux, ce frottement, elles ouvrent un formidable et nouvel espace vertigineux où la danse n’est plus mécanique mais formidablement, terriblement organique et, tout à la fois, une projection mentale. Une projection de ce qu’il peut y avoir de plus intime dans la résilience. Et ce qui est bouleversant dans cette création c’est l’extrême pudeur, délicatesse même, cette façon singulière et unique dont Rachid Ouramdane parle du handicap ou plus exactement de n’en rien dire. Un discours en creux évitant avec soin toute démonstration. Juste un peu d’ironie à notre égard certain de décevoir avec justesse notre attente. De fait notre regard est volontairement faussé, tordu lui aussi. Par cette entrée musicale, Funny Girl, qui se répète et qui affirme d’emblée et avec une insistante malice la différence pour mieux s’en débarrasser ou du moins affirmer un point de départ qui très vite va s’avérer faux et torve. Les solos croisés qui suivent cette introduction ludique se concentrent uniquement sur le mouvement et leur abstraction. Il n’y à priori aucune histoire, juste l’exposition de deux corps en immersion dans un mouvement continu et vertigineux qui leur est propre, devenu leur identité artistique. Dans ces portraits délicats Rachid Ouramdane étire également le temps, il n’y a jamais rien de précipité. C’est aussi lancinant et calme que ces deux palmes en suspension qui tournent inlassablement et fragmentent l’espace et le mouvement. Il crée ainsi à la fois l’attente attentive et fébrile chez le spectateur et bientôt son immersion totale avec ce qui se joue sur le plateau et permet aux deux danseuses d’habiter pleinement cet espace devenu l’enjeu d’une reconstruction. De ne plus être dans la (re)présentation brutale de leur handicap -une question de regard toujours- mais toute entière dans la danse pour que ce handicap soit tout à la fois anecdotique, porteur d’une histoire et en même temps partie intégrante du mouvement, constitutif de celui-ci. Le temps donné et offert devient et permet l’affirmation de soi. Nous finissons par épouser le regard de ces deux danseuses, qui se posent également et longuement sur nous, attentives l’une à l’autre. Nulle compassion, juste un état de fait qui ne s’arrête pas au handicap mais à son dépassement. Il y a là deux danseuses, point. Et si de l’ensemble nous devions retenir une seule image, il y a la beauté fulgurante et inattendue de cet instant où Annie Hanauer interrompt la giration folle de Lora Juodkaite et l’étreint. Geste de consolation ? Geste de complicité ? On reste suspendu soudain à ce mouvement qui les voit pour la première fois entrer en contact physique l’une avec l’autre. Et c’est bouleversant. Car ce qu’il y a de formidable dans cette pièce magnétique, hypnotique c’est la poésie, la force et la fragilité tout à la fois qui émanent de ces deux portraits croisés à nu sans être à vif et sans clichés.

Tordre
conception et chorégraphie de Rachid Ouramdane
Avec Annie Hanauer et Lora Juodkaite
Lumière Stéphane Graillot
Décors Sylvain Giraudeau

Du 3 au 10 novembre 2016 à 20h30, relâche le dimanche

Théâtre de la Cité Internationale
17 bd Jourdan
75014 Paris
Réservations 01 43 13 50 50
www.theatredelacite.com

 

 

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