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Théories et pratiques du jeu d’acteur·rice (1428-2022), de Maxime Kurvers, à La Commune, CDN Aubervilliers, dans le cadre du Festival d’Automne

Jan 03, 2023 | Commentaires fermés sur Théories et pratiques du jeu d’acteur·rice (1428-2022), de Maxime Kurvers, à La Commune, CDN Aubervilliers, dans le cadre du Festival d’Automne

 

 

 

© Willy Vainqueur

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

C’est une somme, comme on pourrait dire de certains ouvrages érudits, universitaires ou encyclopédiques, évalués par l’épaisseur et la solidité de leur ensemble savamment constitué. Le projet de Maxime Kurvers en partage indéniablement la tranquille démesure. Sans la poussière. Chapitrées comme un livre, ces Théories et pratiques du jeu d’acteur·rice (1428-2022), sous-titré Une bibliothèque vivante pour l’art de l’acteur·rice, avancent par étape leur jeu de construction au-delà de leur apparence déconstructrice. Un vieux livre relié au bord du plateau. Un visage crayeux. Des lèvres peintes de rouge. Le harnachement d’une cascade d’étoffes colorées, bigarrées, en guise de corps. La jeune actrice creuse l’obscurité, une bougie à la main. Dans le tremblement de cette frêle lumière, à l’instar du spéléologue, elle remonte le cours incertain d’une pratique, la déclamation telle que théorisée en 1771 par C.J Dorat. Ce n’est pas une reconstitution, mais une restitution, à laquelle nous assistons. L’acteur est une bibliothèque vivante, concaténant dans sa présence et dans son jeu les théories échafaudées au fil des siècles. C’est depuis son propre athlétisme affectif, pour reprendre à la lettre Antonin Artaud, situé en lui, qu’il exécute pour nous les techniques et gammes de jeu préconisées par ceux qui l’ont précédé. Si le théâtre est un art du présent, de l’immédiateté mise en scène, il est tout autant et paradoxalement enraciné dans la nuit des temps. Il fait ses armes du geste enfoui dans le passé. Il est un artisanat dont les outils sont à la portée même de l’acteur. « Seule sachez remplir le vide de la scène » commande Dorat à la jeune actrice.

Maxime Kurvers et ses magnifiques acteurs·rices sont la navette ouvrière effectuant ces va-et-vient entre 1428 et 2022, entre baroque, Meyerhold, Diderot, Zeami, Brecht, Stanislavski, Lecoq, Julian Beck et bien d’autres, tissant l’air de rien une pièce qui les dépasse et qui nous cerne petit à petit comme une forêt en marche. Dans ce geste répété, repris à chaque nouveau chapitre de ce livre dont on devine qu’il ne peut qu’être inachevé, il y a le dire et il y a le faire, les deux se confrontent puis finiront par se confondre. Par ce « je vais essayer maintenant de le faire pour vous », une genèse se réalise, énigmatiquement et simplement, sous nos yeux ébahis. Le deus ex machina du théâtre est véritablement son acteur, qu’il s’agisse de servir le thé sous les préceptes du petit organon de Brecht, de se produire avec un poignard à la main, ou de faire exister une scène de la Cerisaie ou Sganarelle. Ces Théories et pratiques (…), quand bien même elles démonteraient les double-fonds, partageraient les trucs, exhiberaient les artifices, conservent leur puissance de prestidigitation comme si toujours quelque chose de la machine de l’acteur devait échapper à l’entendement de ce qui fait spectacle. Comme si l’acte ne pourrait jamais être réduit à une pensée. C’est cet écart irréductible et sauvage, cette résistance proprement dramatique, qui participent de la singulière beauté de cet œuvre conceptuelle et pourtant profondément ancrée dans le corps et le cœur de ses interprètes. Ils sont les passeurs d’un rêve de théâtre à la manière d’un Edward Gordon Craig.

La somme, mathématique, excède ses parties par un supplément qui aurait à voir avec l’âme des Théories et pratiques (…). Toutes ces voix d’actrices et d’acteurs, au chapitre se succédant, composent une histoire mouvante et instable de la forme théâtrale, mais également un chant polyphonique qui échappe au discours. Se dégage ainsi de cette recherche une curiosité amoureuse pour son objet d’étude qui transparait dans chaque acte porté à la connaissance du spectateur ; dans cet exercice introspectif, avec le recul propre à l’otium qui fait des Théories et pratiques (…) une production tout à fait rare dans l’économie culturelle de notre époque, quelque chose de la démarche d’un Montaigne s’écrit et s’invente à hauteur d’acteur et d’actrice, à hauteur d’homme et de femme, puisant dans le corpus passé pour renouveler l’acte présent, déployant ses qualités morales, développant une éthique du partage, interrogeant le vivre… Et puis, éloignons nous encore un peu plus : ce spectacle, car c’en est un, à vif, et qui s’écrit devant nous, et qui exerce sur nous une étrange fascination, ne serait-il pas au théâtre ce que le Livre de sable de Borges, dans sa fiction, prétend être à la littérature, la possibilité d’un livre qui contiendrait tous les autres livres? Fantasme et fantastique, Théories et pratiques (…) serait la matrice de tous les spectacles, recèlerait les œuvres échues comme celles à venir.

La cage noire du plateau est un volume qui pulse les vides et les pleins au rythme des chapitres performés par les actrices et acteurs des Théories et pratiques (…), c’est une mémoire de formes, c’est un espace fantôme, c’est un arrière-fond comme un imaginaire à l’état latent mais profondément agissant dans le dispositif de parole qui souvent s’installe à l’avant-scène. Au fur et à mesure cet espace se chargera d’une intelligence et d’une émotion, jusqu’à en déborder dans un trop-plein, tel ce cercle formé par le sel de nos larmes séchées sur la scène, jusqu’à cette ultime et modeste petit bureau accueillant Evelyne Didi, héroïque comme chacun de cette troupe, qui, dans un raccourci rétrospectif, conjuguant l’intime, l’émotion et le politique, nous donne à voir vertigineusement tout ce que l’on a éprouvé au fil des presque huit heures de ces Théories et pratiques (…). Chaque époque doit créer son propre art dans la révolte, nous dit-elle. Et par ce miroir qui nous fut tendu tout au long du spectacle de Maxime Kurvers, nous remémorant nos propres pratiques de spectateurs, faisant affleurer nos expériences théâtrales passées, depuis cette autre bibliothèque vivante, qui est la mémoire du spectateur, Evelyne Didi de nous demander enfin : De quelles représentations avez-vous besoin aujourd’hui ?

 

© Willy Vainqueur

 

Théories et pratiques du jeu d’acteur·rice (1428-2022)

Une bibliothèque vivante pour l’art de l’acteur·rice – chapitres 1 à 28, conception et mise en scène de Maxime Kurvers

 

Avec : Évelyne Didi, Camille Duquesne, Julien Geffroy, Michèle Gurtner, Mamadou M Boh, Caroline Menon-Bertheux, Yoshi Oida

 

Écriture et dramaturgie : Maxime Kurvers et l’équipe

 

Lumières : Manon Lauriol

 

Costumes : Anne-Catherine Kunz

 

Perruque : Mélanie Gerbeaux

 

Couture : Maria Eva Rodrigues Matthieu

 

Durée : 1h15

 

Du jeudi 15 au samedi 17 décembre 2022

Jeudi 19h (partie 1) et 21h (partie 2), vendredi 19h (partie 3) et 21h (partie 4)

samedi 11h (partie 1), 14h (partie 2), 16h15 (partie 3) et 19h (partie 4)

––––––

Pièce composée de 4 parties qui peuvent se voir séparément

Durée de chaque partie : 1h45 environ

Partie 1 : Métamorphose intégrale

Partie 2 : Modernité / Apprentissages

Partie 3 : Athlétisme affectif

Partie 4 : Performer

 

La Commune – CDN d’Aubervilliers

2, rue Édouard Poisson

93300 Aubervilliers

Tél : +33(0)1 48 33 16 16

https://www.lacommune-aubervilliers.fr/

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