Critiques // Théâtre de marionnettes d’Awa. Nô, Le puits de Jacob, La Sainte Vierge de Nagasaki, Maison de la Culture du Japon à Paris

Théâtre de marionnettes d’Awa. Nô, Le puits de Jacob, La Sainte Vierge de Nagasaki, Maison de la Culture du Japon à Paris

Sep 26, 2019 | Commentaires fermés sur Théâtre de marionnettes d’Awa. Nô, Le puits de Jacob, La Sainte Vierge de Nagasaki, Maison de la Culture du Japon à Paris

 

© TESSEN-KAI

 

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Il est bon parfois de se décrasser les yeux, les oreilles et la cervelle. Voir d’autres horizons, accepter l’inconnu. Faire ce que préconisait Vitez, cet « exercice de l’ailleurs ». Encore une fois La Maison de la Culture du Japon à Paris propose, et pour deux jours seulement, deux univers qui démontrent toute la richesse de la culture du Japon, entre tradition séculaire et modernité pointue. Un beau démenti à ceux qui ne voient qu’un art définitivement figé, verrouillé par ses codes immémoriaux. Bref des clichés occidentaux. Tout faux, donc.

Pour la première fois en France le théâtre de marionnettes d’Awa,  Awa ningyô jôruri, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, donne représentation. Art traditionnel de Tokushima pratiqué en plein air dans l’enceinte de sanctuaires, théâtre consacré à l’origine aux divinités protectrices de la communauté,  sur une scène appelée le nôsan butai. Mouvements amples et têtes de grandes tailles pour une meilleure visibilité voilà ce qui au premier chef caractérise cet art qui fut à l’origine du bunraku. Marionnettes manipulées à vue, par trois marionnettistes. Le maître pour la tête et la main droite, qui indique toujours où le regard se porte, le second pour la main gauche et le troisième pour les pieds. Pour le récit, un récitant – le tayu – et un joueur de Shamisen. Et à l’arrière de la scène, les fusuma karakuri où panneaux se succédant au long de la représentation. Petite merveille d’ingéniosité mécanique, panneaux coulissant, pivotant, peints de fresques sublimes pour décor et jeu d’illusion et de profondeur. Tout un art en soi. Et aujourd’hui numérisés en images 4k pour une expérience de réalité virtuelle surprenante. Étonnant frottement entre cette technologie dernier cri au service d’un art patrimonial. Récit traditionnel qui commence par le Sambasô, danse rituelle pour la paix et l’abondance des récoltes. Comme la danse d’Ebisu, divinité du bonheur, donnée également à la suite. Étonnant aussi de découvrir le Sambasô dansé par des marionnettes et que nous avions découvert au Théâtre de la Ville / Espace Cardin lors de la manifestation Japonisme, conçu par l’artiste Hiroshi Sugimoto et dansé par les danseurs Mansaku, Mansai et Yûki Nomura, respectivement père, fils et petit-fils d’une lignée remontant au XVème siècle. Ces deux danses rituelles sont suivies par Le Miracle de Tsubosaka, récit traditionnel du XIXème siècle. L’amour indéfectible de deux époux, l’aveugle Sawaichi et sa femme Osato. Leur suicide, leur résurrection par l’intervention du bodhisattva Kannon et la vue retrouvée. Incroyable de voir ces personnages de bois et de tissus soyeux être si vivant. Tant même que leurs visages pourtant figés semblaient prendre l’expression de leurs sentiments les plus subtils au fil de ce récit. Fascinés étions-nous de voir combien le maître, exceptionnellement sans cagoule, fait littéralement corps avec sa marionnette, à ne plus distinguer qui de l’un ou de l’autre est manipulé.

Autre univers, le nô. Qui ne cesse lui aussi d’évoluer et de s’ancrer dans la modernité avec le fragile équilibre de ne rien renier de sa spécificité, de sa tradition, de ses codes, aussi obscurs nous soient-ils, nous occidentaux. Mais il faut se laisser tout simplement glisser dans cet ailleurs, hypnotique, hiératique. Deux créations, nous n’en avons vu qu’une, prouve que cet art ne se contente pas d’un répertoire ancien, dieux et kamis, légendes et spiritualité, Shinto et bouddhisme, mais peut également regarder le monde et l’interroger, atteindre une universalité qui n’empêche nullement de rester ancrer dans sa forme si singulière. Le Puit de Jacob justement, représenté la première soirée, fruit d’une réflexion et d’un dialogue entre Diethard Léopold et le danseur Kanji Shimizu, inspirés de l’histoire de la Samaritaine et de Jésus cité dans l’Évangile de Saint Jean. Partant du conflit palestino-israélien, une vieille femme palestinienne ayant perdu son fils et sa fille dans ce conflit vient au puit de Jacob aujourd’hui asséché, lequel lui est interdit, et rencontre deux juifs, l’un professeur israélien, l’autre russe. Très vite le débat s’élargit sur l’origine des conflits ethniques et religieux. Question posée aussi sur l’Histoire et son récit, la fable. Et c’est un chat – parlant français, jolie courtoisie japonaise – incise traditionnelle et classique dans le nô apporté par le Kyôgen, qui donne une clef du récit, témoin qu’il fut de la scène entre la Samaritaine et Jésus. Les chats ont neuf vies et les fantômes hantent toujours le nô pour révéler les origines et réparer les vivants. Une révélation qui fait basculer de façon surprenante, inattendue, la fable et son origine et donne un autre éclairage, au récit évangélique. La Samaritaine, errant désormais comme tout Kami, faisant alors son apparition… Étrange et fascinant de découvrir combien le nô, par son extrême codification, atteint par sa forme une atemporalité bien plus qu’une sclérose. Le rêve d’Artaud en somme, sans la cruauté. Et s’emparant d’un récit contemporain lui donne par là-même, paradoxalement, une universalité.

Suite à ce nô, et comme entracte, un Kyôgen, Le saké de ma tante, où l’humour japonais déroute toujours quelque peu. Et en conclusion un nô dans la grande tradition, Tenko et le tambour céleste. Fascinant comme toujours et qu’importe si les katas, ces gestes à la symbolique précise, nous échappent. N’en demeure pas moins une formidable impression, l’intuition sinon de comprendre, d’approcher un peu, un tout petit peu, du mystère japonais.

 

 

© TESSEN-KAI

 

 

24 septembre 2019

18 h 30

Le miracle de Tsubosaka, théâtre de marionnettes d’Awa

Avec la troupe de  marionnettistes Katsuuraza

Nii Washô, récitante

Takemoto Tomowaka, shamisen

 

20 h

Nô, Le puit de Jacob, de Diethard Léopold, création

Dramaturgie Sachiko Oda

Mise en scène, interprétation Kanji Shimizu

Kyogen, Le saké de ma tante (Obagasake), avec Tadashi Ogasawara

Nô, Tenko et le tambourin céleste (Tenko), avec Tetsunojô Kanze

 

25 septembre 2019

18 h 30

Le miracle de Tsubosaka, théâtre de marionnettes d’Awa

Avec la troupe de  marionnettistes Katsuuraza

Nii Washô, récitante

Takemoto Tomowaka, shamisen

 

20 h

Nô, La Sainte Vierge de Nagazaki (Nagazaki no Seibo), de Tomio Tada, création

Mise en scène, interprétation, Kanji Shimizu

Kyogen, le sculpteur de bouddhas (Busshi) avec Tadashi Ogasawara

Nô, la danse folle du génie de la mer (Shôjô midare) avec Kanji Shimazu

 

 

Maison de la culture du Japon à Paris

101 bis quai Branly

75015 Paris

Réservations 01 44 37 95 01

www.mcjp.fr

 

 

 

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