À l'affiche, Critiques // The Ventriloquists Convention, de Gisèle Vienne, au Théâtre Nanterre-Amandiers, Festival d’Automne à Paris

The Ventriloquists Convention, de Gisèle Vienne, au Théâtre Nanterre-Amandiers, Festival d’Automne à Paris

Nov 30, 2015 | Commentaires fermés sur The Ventriloquists Convention, de Gisèle Vienne, au Théâtre Nanterre-Amandiers, Festival d’Automne à Paris

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

815594-tvc1-falk-wenzel

© Falk Wenzel

Un congrès de ventriloques dans le Kentucky. Ils sont neuf avec leurs marionnettes à discuter de leurs métiers, de leur avenir. En apparence… Entre admiration et rivalité. Aux voix « naturelles » se mêlent bientôt d’autres voix qui énoncent une autre réalité, plus intime, plus violente, révélant des secrets enfouis, des vérités non avouées. Aux voix des ventriloques, aux voix des marionnettes s’entremêlent d’autres voix, des voix intérieures, contradictoires et dissociées des corps vivants ou des pantins animés. Elles surgissent, ces voix, fantomatiques. Et glaçantes par ce qu’elles révèlent de fractures, de blessures intimes. Bientôt nous atteignons un point de rupture où par toutes ces voix qui dialoguent et très vite se confondent, se superposent, la folie, le chaos intérieur de chacun est dénoncé. La partition de Dennis Cooper, l’auteur, est magistrale qui sème intelligemment le trouble et le malaise. C’est une oscillation constante entre la réalité et l’illusion, le jeu, la vérité et le mensonge. Que trahissent les voix. Ces voix qui agissent comme autant de déflagrations feutrées et font basculer les personnages dans une schizophrénie latente qu’ils ne maîtrisent bientôt plus, que leur art peine à contenir. C’est très troublant, oui, et même cauchemardesque souvent. Un cauchemar qui frôle le fantastique. Les marionnettes sont ainsi des objets de transferts psychanalytiques qui permettent de dire le pire et de façon distanciée. Mais quand elles ne suffisent plus à dire l’innommable, quand les digues ténues des non-dits se refusent à céder, résistent encore, du plus profond de chacun, d’autres voix prennent le relai. Des voix nues, brutes, non incarnées. N’exprimant plus que la vérité sans fard. Terrifiante. Ressorts secrets qui manipulent chaque individu, devenu marionnette de ses pulsions inconscientes. Dennis Cooper entretient magistralement le trouble quant au rapport entre la marionnette et son manipulateur. On ne sait plus très bien qui manipule l’autre et leur rapport ici dépasse très vite le jeu scénique conventionnel. Relations qui confinent au malaise. Le réalisme, magnifique création, de certaines marionnettes ajoute à cette folie qui gagne le plateau et à notre affolement. Nos repères deviennent flous et fragiles devant ces voix internes qui s’expriment et qui abolissent brutalement tous repères, signant la folie prête à surgir.

Gisèle Vienne signe une création splendide et crépusculaire, glaçante certes mais d’une très grande profondeur humaine. Une mise en scène d’une maîtrise rare au vu de la complexité dramaturgique, exigeante et rigoureuse. Elle joue de la théâtralité de son sujet et de sa mise à distance, exploitant judicieusement ce que les marionnettes et la ventriloquie peuvent apporter de fascinant, de merveilleux, de trouble et de malaise. Elle creuse implacablement chaque personnage qu’elle pousse dans ses retranchements ultimes. Les neuf comédiens-ventriloques sont époustouflants. Une trentaine de voix à eux seuls et pourtant ils se refusent à l’exploit. Gisèle Vienne évite l’écueil de la performance pour ne garder que le droit fil de la dramaturgie ou chaque personnage est ainsi composé de voix multiples, offrant les strates d’une personnalité complexe, déchirée, menacée, heurtée de contradictions, menacée de folie. Gisèle Vienne compose des tableaux ahurissants, stupéfiants, et sème la confusion et le mystère pour atteindre une vérité enfouie et douloureuse derrière une réalité trompeuse. Elle suspend même parfois le temps de la narration comme autant de parenthèses nécessaires qui diffractent les scènes offrant des points de vue contradictoires. Cela donne aux personnages une telle vérité qu’on vient à douter de leur jeu pour ne voir qu’un naturel perturbant, une réalité envahissant le plateau. Même leurs marionnettes ne sont plus qu’une extension d’eux-mêmes et semblent étrangement doués d’une vie propre, déchargeant celui qui la manipule de son poids humain. On a beau apercevoir les mécanismes, le trouble demeure… Et quand les voix intérieures s’élèvent, semblent surgir de nulle part, Gisèle Vienne ne souligne aucunement l’effet produit. Tout semble le plus naturel du monde. Il y a comme une décantation du personnage débarrassé du médium de sa marionnette. C’est une réussite par le dépouillement apporté à la mise en scène et au refus évident de marquer l’effet pour atteindre une étrange réalité, un naturel fantastique. Les marionnettes sont de biens étranges personnes. Les ventriloques aussi. Et cela fait peur…

The Ventriloquists Convention
Conception, mise en scène et scénographie Gisèle Vienne
Texte Dennis Cooper, en collaboration avec les interprètes
Musique KTL (Stephen O’Malley et Peter Rehberg)
Lumière Patrick Riou
Accessoires, scénographie et costumes Gisèle Vienne, avec la collaboration d’Angela Baumgart
Conception des marionnettes Gisèle Vienne
Construction des marionnettes Hagen Tilp

Avec Jonathan Capdevielle, Kerstin Daley-Baradel, Uta Gebert, Vincent Göhre et les interprètes du Puppentheater Halle : Niels Dreschke, Sebastien Fortak, Lars Frank, Ines Heinrich-Frank, Katharina Kummer

Du 27 novembre au 5 décembre 2015 à 20h30
Jeudi à 19h30, dimanche à 15h30, relâche le lundi

Théâtre Nanterre-Amandiers
7, avenue Pablo Picasso – 92022 Nanterre
Avec Le festival d’Automne à Paris
Réservations 01 46 14 70 00
< www.nanterre-amandiers.com

comment closed