ƒƒƒ article de Jean Hostache
© Zbigniew Bzymek
Une surprenante « pièce en un acte », comme l’indique le sous-titre de ce spectacle, dont le squelette s’établit selon une forme de théâtre documentaire, reflet elle-même d’un documentaire réalisé par Chris Hegedus et D.A Pennebaker, dont la projection au plateau rythmera le tempo et les chambardements de cette performance.
Le 30 avril 1971 marque l’histoire du féminisme lors d’une table ronde, un dialogue sur la libération des femmes, organisé au théâtre Town Hall de New-York. Un débat intégralement filmé par D.A Pennebaker (qui constituera les images de ce documentaire « Town Bloody Hall », et à l’initiative de Norman Mailer, dont les propos de son ouvrage The prisoner of Sex font polémiques. Mailer invite à sa table ronde les grandes prêtresses pionnières de la libération des femmes, telles que Germaine Geer ou encore Jill Johnston (personnages délicieusement drôles et militants), à s’insurger face au machisme de l’époque. Ce débat prend comme la forme d’un procès redoutable, donnant là un beau matériau à la création de ce collectif underground qu’est le Wooster Group.
Nous pouvons dire que ce documentaire a plus qu’inspiré la pièce. Il vient en fait sculpter la structure globale du spectacle. Après le générique de présentation du film projeté sur scène, où nous voyons la table ronde de l’époque s’organiser avant la bataille, les comédiens démarrent à bride abattue pour nous expliquer le contexte difficile et l’évènement extraordinaire que représente l’affaire du Town Hall. Un spectacle qui s’entame sur le mode de la conférence, pour en venir à un théâtre de témoignage au travers de ce documentaire. Le Wooster Group vient littéralement ressusciter au plateau le débat de 1971. Les images du documentaire défilent mais se voient privées du son. La parole est alors rendue aux comédiens, qui viennent tour à tour interpréter les grandes figures de ce débat, et c’est en cela qu’ils nous font revivre cette soirée historique. A la même cadence que les lèvres des personnages du Town Hall bougent sur les images, les interprètes du Wooster Group relatent leurs discours et les incarnent avec force. Ce principe donne à leur jeu une couleur particulière, qui est rare de trouver au théâtre, et fait de leur forme performative un réel exploit d’interprétation. D’une part, jouer de cette manière avec l’image demande une orchestration minutieuse, et un travail chirurgical d’imitation. D’autre part, construire cette proposition scénique demande dramaturgiquement à l’ensemble du groupe une connaissance très fine du sujet, qui relève quasiment d’être un « acteur-journaliste ».
Au reste, il est réjouissant de côtoyer le temps d’une représentation ces personnalités féminines uniques, et qui ont engagées un long combat humaniste et progressiste. Il est enfin inquiétant, et c’est en cela que le spectacle nous chambarde, de constater combien ces avancés miraculeuses sont aujourd’hui à réengager au regard de notre actualité sombre, quant à la question du droit des femmes, ici disséquée par la médiation d’un théâtre révolutionnaire et lucide. Il s’agit là de questionner de nouveau un débat qui n’a pas pris fin depuis quarante années, et de rendre la parole par la parole, à des femmes à qui nous l’avons volé (quand on pense notamment au discours interrompu de Jill Johnston). On réalisera alors le constat dramatique que les pensées chimériques des années 70, transpirent l’actualité. C’est notamment ce qu’en témoignent les quelques mots exprimés à l’époque par Germaine Geer dans The Female Eunuch: « Maintenant, comme avant, les femmes doivent refuser d’être dociles et sournoises, car la vérité ne peut jamais être servie par la dissimulation. Les femmes qui croient qu’elles peuvent manipuler le monde avec le pouvoir de leurs chattes et des petites cajoleries sont des idiotes. C’est de l’esclavage d’être obligée d’adopter de telles tactiques. »
The Town Hall Affair
(sous la forme d’une pièce en un acte)
D’après le film « Town Bloody Hall » réalisé par Chris Hegedus et D.A Pennebaker
Mise en scène par Elizabeth LeCompte
Lumière, Jennifer Tipton et Ryan Seelig
Son, Eric Sluyter, Gareth Hobbs
Vidéo et projection, Robert Wuss
Vidéo complémentaire, Zbigniew Bzymek
Supervision costumes, Enver Chakartash
Assistant mise en scène, Enver Chakartash, Matthew Dipple
Régisseur plateau, Erin Mullin
Directeur technique, Joseph SilovskyAvec Enver Chakartash (assistante plateau), Ari Fliakos (Norman Mailer / Norman Kingsley), Greg Mehrten (Diana Trilling / L’ami), Erin Mullin (Robyn / Ruth Mandel), Scott Shepherd (Norman Mailer / L’acteur), Maura Tierney (Germaine Greer / La femme) et Kate Valk (Jill Johnston) // Gareth Hobbs (voix) (Peter Fisher)
Du 6 au 8 octobre à 20h30
Au Centre Pompidou
Place Georges-Pompidou, 75004 Paris
Métro Châtelet les Halles (Lignes 1, 4, 7, 11, 14/ RER A, B, D), Rambuteau (Ligne 11), Hôtel de Ville (Lignes 1 et 11). Bus : 29, 38, 47, 75
Réservation au 01 53 45 17 00
http://www.festival-automne.com/
https://www.centrepompidou.fr/
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