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The note book de Agota Kristof mise en scène de Tim Etchells au théâtre de la bastille

Déc 01, 2016 | Commentaires fermés sur The note book de Agota Kristof mise en scène de Tim Etchells au théâtre de la bastille

 

Article d’Anna Grahm

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© Hugo Glendinning

Ces enfants-là n’ont pas d’âge, pas d’adulte pour les protéger, pas de référant. Ces enfants-là n’ont reçu aucune espèce d’éducation, sont livrés à eux-mêmes, ils sont leurs propres maitres et ont érigé leurs propres règles. Ces enfants-là sont glaçants.

Autour d’eux, c’est la désolation, le chaos de la seconde guerre. Et bien que ce qu’ils traversent soit atroce, ils ne s’en plaignent pas et ne pleurent jamais. S’interdisent toute émotion, toute subjectivité. La langue qu’ils s’inventent est privée d’adjectifs, se parle au présent et s’en tient strictement aux faits. Bruts, indécents, terrifiants.

Ces deux-là sont jumeaux, des clones, des miroirs. Ils entrent tous les deux sur un plateau nu, un désert, seules deux chaises remplissent le vide. Ils viennent dans leurs costumes ternes, parfaitement identiques, raconter d’une voix lente et monocorde des histoires parfaitement insensées. De plus en plus incroyables. De plus en plus insoutenables. Ils lisent ce qu’ils ont écrit avec un étrange détachement, un calme olympien, et dans leurs yeux brillent une certaine ironie, et dans leurs silences remontent le bruissement de leurs folles détresses.

Tout le long du spectacle, ces deux-là s’emploient à décrire avec une précision chirurgicale, le basculement de l’humanité, la misère, la brutalité, l’ensauvagement progressif et le combat pour la survie. Dans le monde qu’ils se sont créés, il n’existe aucun jugement de valeurs, aucune conscience du mal et du bien. Ils sont devenus ces petites boites noires, ces machines sans âme, ces électrocardiogrammes qui mesurent les battements du cœur du monde.

Maintenus dans un carré de lumière implacable, debouts, assis, côte à côte, ensemble d’une seule et même voix, ou l’un après l’autre, proches ou lointains, ils enregistrent l’activité électrique du rythme humain, transcrivent les coups, les insultes, les dangers, les exactions continuelles, surveillent les irrégularités quotidiennes, tracent des portraits macabres, font surgir les lignes de faille de la mort qui rode, pointent les conduites absurdes d’une population tétanisée.

Tout est dit de la même façon, donné sur un ton neutre et mécanique, la sexualité déviante, le viol, la faim, le froid, la faiblesse et la force, le dénuement et le crime. Et si l’énumération catastrophique des comportements qu’ils côtoient ou qu’ils subissent les laisse froids, elle produit pour le public, une sorte de vertige sidérant. Mais dans ce jeu du nous qu’ils maitrisent à la perfection et dans lequel ils sont prisonniers, il leur faut rester en vie. Aussi pour protéger cette unité fraternelle, ils s’obligent mutuellement à des « exercices d’endurcissements » très inquiétants, qui les soudent et les sauvent.

La mise en scène parie sur un procédé à la fois pugnace et aride qui n’offre au public aucune respiration, aucun artifice, ni aucune issue pour échapper à la cruauté. La performance a quelque chose du rouleau compresseur. Les acteurs oppressent, et même s’ils restent toujours feutrés, ressemblent à des marteaux piqueurs. Les spectateurs qui avancent sur ce terrain miné, doivent, au milieu de ce pilonnage ahurissant faire très attention où ils mettent les pieds. Car on ne peut pas suivre ces deux-là aveuglément, car le public ici sans cesse mis à l’épreuve, se retrouve à reformuler par lui-même ce qu’il entend.

Ainsi font les gens qui refusent d’être passifs, qui noyés sous des masses d’informations, préfèrent ne pas prendre tout ce qu’on leur dit pour argent comptant. Ainsi font ceux qui s’appliquent à comprendre, ils s’emploient à traduire en leur âme et conscience ce qu’on voudrait leur apprendre de force.

The note book
Surtitré en français
D’après le Grand Cahier de Agota Kristof
Conçu par Robert Arthur
Tim Etchells
Claire Marshall
Cathy Naden
Terry O’Connor
Directeur artistique Tim Etchells
scénographie Richard Lowdon
lumière Jim Harrison

avec Robin Arthur et Richard Lowdon

Du 28 novembre au 3 décembre 2016
à 19 h

Théâtre de la bastille
76 rue de la roquette 75011 Paris
réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

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