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The interrogation, texte Edouard Louis et Milo Rau, mise en scène de Milo Rau, à La Colline – Théâtre National

Mai 24, 2022 | Commentaires fermés sur The interrogation, texte Edouard Louis et Milo Rau, mise en scène de Milo Rau, à La Colline – Théâtre National

 

© Tuong-Vi Nguyen

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Edouard Louis. Sa vie son œuvre. Reprendre ainsi l’expression consacrée, et souvent posthume, pour parler d’un jeune auteur, peut surprendre. Et pourtant, rien ne semble plus pertinent dans le cas d’Edouard Louis tant l’œuvre est inspirée, et même comme proprement générée, de la vie de l’auteur, et tant, en flux inversé, cette œuvre, tel le couteau du sculpteur, modifie et dessine aujourd’hui les contours et les reliefs de la nouvelle vie de son auteur. De cette porosité il sera intimement question dans la pièce présentée à la Colline par Milo Rau. The interrogation démarre d’ailleurs par une lettre, écrite en amont du projet, lue en voix off par Edouard Louis et adressée à Milo Rau, le metteur en scène. Comme si la pièce serait le processus même de sa création : il y a de la genèse dans The interrogation.

A jardin est assis un jeune homme, sweatshirt blanc à capuche, immaculé, Eastpack sur les genoux. Gueule d’ange. Dans l’indistinction de la pénombre, la ressemblance avec le jeune auteur à succès est troublante. The interrogation jouera de cette proximité, contredite et confortée à la fois par l’évidence que ce n’est pas Edouard Louis, sur le plateau de la Colline, mais Arne de Tremerie, acteur prodige du NTGent. Un mimétisme de l’apparence pour flouter un peu plus les glissements de réel de l’acteur vers l’auteur et vice versa à travers une vidéo projetée en fond de scène, sans pour autant émousser les différences de présence entre cet acteur virtuose, véritable caméléon à l’aisance magistrale, écrivant au plateau cette conversation sensible, émotive, toute en nuances, en liberté, d’un acteur en jeu avec le public, et Edouard Louis, réservé, introspectif, à la densité marmoréenne, distant comme s’il parlait depuis ce pays lointain qu’est la littérature. Dans sa lettre adressée à Milo Rau, l’auteur évoque son expérience d’acteur avec Thomas Ostermeier, envisagée comme une échappatoire « à la solitude de l’écriture » avant d’avouer que cela « ne [l’] a pas rendu heureux ».

Arne de Tremerie sera donc le truchement d’Edouard Louis : le traducteur de l’écriture d’Edouard Louis pour l’espace vivant du théâtre. Ce déplacement, c’est aussi celui d’une langue, le français, vers une autre, le flamand. Et l’air de rien, cela crée, entre les mots écrits et ceux dits, une distance de réflexion comme celle qui peut exister entre Edouard Louis, et son double de théâtre. Pour Milo Rau, attaché comme nul autre au réel, aussi dramatique et violent soit-il, pour preuve les précédents spectacles, c’est comme si The interrogation était la métaphore ultime de ce que le théâtre fait au réel ou inversement, dans ce dialogue entre l’auteur et son avatar : l’acteur. Et le public, comme un arbitre, mesurant la déflagration du réel dans le jeu du plateau.

Le texte de The interrogation puise dans la même matière que celle des romans autobiographiques publiés par Edouard Louis, mais l’effet en est très différent : comme chez Brecht, la mise en scène agit en révélateur par un effet de précipitation et de distanciation. Les passions humaines se lisent alors au crible de grilles qui deviennent visibles. A écouter ce que nous dit Edouard Louis, interprété par Arne de Tremerie, on se dit qu’il incarne littéralement la pensée bourdieusienne, comme un acteur pourrait incarner le texte d’un auteur.

Il y a enfin cette ligne qui se dégage et éclaire ce jeu de miroir et cette mise en abyme récurrente d’un théâtre dans le théâtre : cette idée-force, chère à l’auteur, motrice de son œuvre, que l’art, la littérature, le théâtre, ce serait justement une vengeance, ou pour le moins une revanche, sur le réel. Edouard Louis l’énonce à l’échelle de sa vie, Milo Rau nous le fait entendre à l’aune de la vie.

 

© Tuong-Vi Nguyen

 

The interrogation, d’Édouard Louis et Milo Rau

Mise en scène de Milo Rau

Avec Arne De Tremerie

Dramaturgie : Carmen Hornbostel

Lumières : Ulrich Kellermann

Assistant à la mise en scène : Giacomo Bisordi

Direction technique : Jens Baudisch

Direction de production : Mascha Euchner – Martinez

Traduction : Erik Borgman et Kaatje De Geest

 

Durée : 1 h 05 minutes

Du 18 au 24 mai 2022, du lundi au samedi à 20 h

 

La Colline – Théâtre National

15 Rue Malte-Brun

75020 Paris

Tél : 01 44 62 52 52

https://www.colline.fr

 

 

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