À l'affiche, Critiques // The Generosity of Dorcas, de Jan Fabre au Théâtre de la Bastille

The Generosity of Dorcas, de Jan Fabre au Théâtre de la Bastille

Jan 21, 2019 | Commentaires fermés sur The Generosity of Dorcas, de Jan Fabre au Théâtre de la Bastille

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

@ Marcel Lennartz

« Pas de sexe, pas de solo », c’est avec ce titre qu’un tract vous cueille à l’extérieur du Théâtre de la Bastille. Tract rédigé par un collectif soutenant des ex-salarié.e.s de Troubleyn, la compagnie de Jan Fabre, lesquels publièrent cet automne une lettre ouverte accusant notamment le chorégraphe et plasticien de maltraitance psychologique et harcèlement sexuel.

Comme en réponse, Jean-Marie Hordé, directeur du Théâtre de la Bastille, écrit dans la feuille de salle, « Il ne me revient pas de me substituer au juge, ni même en l’absence de toute procédure officielle, d’entretenir un soupçon qui vaudrait, sans preuve, condamnation (…) Aussi, nous maintenons la présentation de la pièce ».

C’est peu dire qu’on est « troublé » en s’installant dans son fauteuil, et il faut alors bien reconnaitre la très grande puissance esthétique et dramaturgique du solo qui est présenté pour nous avoir fait oublier cette autre actualité.

Sidération à l’ouverture des rideaux de velours : une pluie figée de couleurs, composée de centaines de fils de laine lestés de longues aiguilles métalliques. Un ciel de rêve et de menaces. Côté jardin, le danseur Matteo Sedda harnaché de plusieurs couches de vêtements noirs, endosse la figure de Dorcas, qui s’avèrera être surtout une figure du multiple.

The Generosity of Dorcas s’inspire d’un personnage biblique, une chrétienne des premiers temps, connue pour avoir fait preuve d’une extrême générosité envers les plus pauvres, allant jusqu’à se dépouiller complètement pour venir en aide à son prochain. A sa mort, Saint Pierre l’aurait ressuscitée.

Le solo se déroule comme une répétition de gestes et mouvements qui font danse, sur une musique répétitive signée Dag Taeldeman. Les gants blancs alliés à la gestuelle du danseur évoquent le magicien, le mime ou plus efficacement inscrivent avec une force graphique la virtuosité des gestes.

Ainsi ganté, et chaussé de bas de soie blanche, Matteo Sedda déchire, découpe et coud l’espace avec une grande précision, soutenue par la boucle musicale entêtante, et se métamorphose en se dépouillant progressivement. Cowboy, femme, homme, boxeur, servante industrieuse, flutiste, c’est tout une foule d’hommes et de femmes qui apparaissent, dans une fusion des genres et dans une fluidité incroyable. Une ronde nerveuse, qui progresse, s’accélère, s’emporte et se fige dans un spasme, sorte d’épuisement extatique, de transe résurrectionnelle. Puis repart.

Chaque vêtement, avant d’être ôté, est piqué d’une des épingles décrochées du ciel, puis, répétant le geste de Dorcas, déposé au bord du plateau, comme une offrande au public. Rituel qui s’approfondit au cours de la performance dans un rapport de plus en plus intime et sensible avec les spectateurs, comme en écho à ces quelques mots dits en italien à l’ouverture : je vous ferai voir avec mon cœur.

Outre la beauté de la danse conjuguée à l’espace, c’est peut-être son mystère qui finalement nous atteint le plus et nous interroge : qu’est-ce que la générosité? d’où vient cette pulsion pourtant si contraire à nos intérêts propres? sinon une énigme cousue au cœur de l’homme?

Et osons aller encore plus loin : qu’est-ce que le théâtre et la danse? sinon le geste, lui aussi profondément énigmatique, de se dépouiller et s’offrir aux autres comme Dorcas?

Mais le trouble nous vient aussi, et un questionnement sans fin, surgissant des origines de ce projet, puisque Jan Fabre l’avait initialement conçu pour une autre danseuse de sa compagnie : Tabitha Cholet, qui fut signataire de la lettre qui provoqua le scandale, et qui a depuis quitté la compagnie : le personnage de Dorcas est en effet également connu sous le nom de Tabitha.

Au sol des lettres sont inscrites, et composent, il me semble, cet autre nom : TABITHA.

Peut-être que la générosité est-elle même ambiguë, et qu’elle se nourrit d’histoires moins glorieuses pourrait aussi nous dire se spectacle…

 

The Generosity of Dorcas, de Jan Fabre
Concept, chorégraphie & direction Jan Fabre
Musique Dag Taeldeman
Scénographie & costume Jan Fabre
Dramaturgie Miet Martens
Technicien Geert Vanderauwera

Avec Matteo Sedda

Du 16 au 31 janvier 2019 à 21h00
Relâche les dimanches et du 21 au 24 janvier
Durée 50min

Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris

Réservation au 01 43 57 42 14
http://www.theatre-bastille.com

Tournée
Le 12 février 2019 à 20h30
Le parvis scène nationale Tarbes pyrénées
Centre Commercial Le Méridien
1er étage
Route de Pau – 65420 Ibos
Réservation au 05 62 90 08 55
http://www.parvis.net

Be Sociable, Share!

comment closed