© Guillaume Robert
ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
L’art et l’être d’Ondine Cloez étaient faits pour aller à la rencontre du Japon. Sa réserve ironique, son retrait saillant, ses facéties effacées, bref tout ce qui la rend unique, ne pouvaient trouver meilleur terreau que le pays du soleil levant. Accompagnée de Kotomi Nishiwaki, toutes deux élèves il y a une vingtaine d’année de P.A.R.T.S, nous les découvrons absorbées à leur table d’écolières studieuses, échangeant regards et mots chuchotés, comptant et recomptant du bout des doigts les syllabes de leur tanka, courte poésie de 31 syllabes rigoureusement découpée en 5-7-5-7-7 dont le programme de salle nous apprend que l’objet est de révéler « quelque chose qui jusqu’à alors demeurait invisible ou inconnue : une émotion, une sensation, un désir, un fantasme ». Pantalons crèmes, tee-shirt parme pour l’une, beige pour l’autre, cheveux identiquement décolorées racine foncée visible, nos deux poétesses de l’ineffable s’inscrivent dans le vide spectaculaire avec la délicatesse d’une aquarelle, d’un pastel, forçant bientôt sans aucune forme d’autorité le silence dans la salle. Dans une parfaite symétrie, The first word of the first poem of the first collection is basket s’ouvre et se refermera sur un tanka, pareil à un fruit coupé en deux dont on aura gouté entre temps la chair et le suc. Le peu, le simple, le banal, et d’une certaine façon le risible qui leur est irrémédiablement attaché, y sont scandés dans une forme récitative culminant jusqu’à la stridence d’un cri assourdissant. Table rase sonore. Par ce cri, par ce qu’il produit, advient ce que l’on ne pourrait mieux nommer que faille spectaculo-temporelle, ouvrant une immense clairière dans la dense forêt des actes, où la fantaisie de nos deux performeuses se déploiera à cœur joie. Si l’essence du tanka est de révéler l’invisible, alors nos deux expérimentatrices s’attaqueront à l’invisible de la scène, dévoileront, les effectuant à vue telle la divulgation d’un trucage de magicien, ces stratégies aussi variées que comiques visant à faire fondre la nervosité de l’artiste sur scène : l’une par exemple « scannant » un à un les visages de l’audience, l’autre interchangeant, par une opération de l’esprit, le public qui lui fait face et le vide qui se presse derrière elle.
L’humour de The first word of the first poem of the first collection is basket est de chaque instant, subtil, une ridule sur une mer infinie. Ou pareil à une vague dessinée dans les ondulations minérales d’un jardin zen. Nos deux poétesses manient avec gourmandise et majesté l’art du vide et du plein, elles savent détourer l’action pour la rendre futile et héroïque dans le même geste, elles savent créer l’écart, comme une imparable séduction. Ce spectacle, c’en est bien un, fait chanceler l’ordre de la représentation, se dégonde jusqu’à se retrouver à côté de lui-même, littéral théâtre et son double. Ce comique est un délice quantique, joue de notre logique et de la logique spectaculaire, les met en joue. Sa temporalité est faite de spirales, retours en arrière, replay, accélérations, blancs comme des trous noirs. La physicalité minimaliste de cette œuvre entrerait presque en résonnance avec une peinture de Miró : Ondine Cloez et Kotomi Nishiwaki, deux figures réduites à des particules comme deux points suspendus dans la physicalité qui émerge. Cet espace investit la totalité vide du plateau, il est celui, ludique, de l’enfance où l’on conserve encore l’art de s’étonner et s’émerveiller de ce que l’adulte finira par ne plus daigner voir. L’insignifiance y est encore insigne. Le burlesque dont font preuve ces deux exploratrices nous saisit dans l’instant de sa formation, pousse à vue d’œil ses ramures jusqu’au bout de doigts tendus au ciel, et vibre de son audace badine. Et dans cet incessant exercice de traduction, du japonais au français, de l’indicible au dicible, de l’invisible au spectaculaire, du mineur au majeur, se révèlent non seulement la métamorphose de nos humaines guides en divines nymphes mais aussi cette indéniable vérité : le théâtre est un art du truchement, absolument pas cruche !
© Guillaume Robert
The first word of the first poem of the first collection is basket, une proposition de Ondine Cloez et Kotomi Nishiwaki
Interprétation : Ondine Cloez et Kotomi Nishiwaki
Création Lumière : Alice Dussart
Regards extérieurs et invités : Bruno De Wachter, Marcelline Delbecq, Nina Garcia, Kidows Kim
Graphisme : Lucie Caouder
Stagiaire : Léo Bourdet
Durée : 1h
Samedi 14 décembre 2024 à 14h30 et dimanche 15 décembre à 15h30
Dans le cadre du Pavillon Autrice Marie Ndiaye « Écrire à voix vive »
La Commune – CDN Aubervilliers
2 rue Edouard Poisson
93300 Aubervilliers
Tél : +33(0)1 48 33 16 16
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