À l'affiche, Critiques // The Dark Master, texte et mise en scène de Kurô Tanino, au T2G, Festival d’Automne à Paris, Japonisme

The Dark Master, texte et mise en scène de Kurô Tanino, au T2G, Festival d’Automne à Paris, Japonisme

Sep 21, 2018 | Commentaires fermés sur The Dark Master, texte et mise en scène de Kurô Tanino, au T2G, Festival d’Automne à Paris, Japonisme

 

© Takashi Horikawa

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Osaka, dans un restaurant local banal, débarque un jeune homme. Fraîchement accueilli par le propriétaire qui le regarde à peine avant que ce dernier ne lui fasse une proposition étrange : reprendre le restaurant. Arguant qu’il ne sait pas cuisiner, pas même une omelette au riz, encore moins les plats occidentalisés proposés, le jeune homme lui oppose un refus. Le propriétaire, étrange marché, le convainc de porter une oreillette et qu’il lui donnera toutes les indications nécessaires de sa chambre dans laquelle il ne tarde pas à disparaître définitivement. Aux yeux de ce gamin et aux nôtres aussi. De là-haut il voit tout, entend tout, prodigue conseils et commentaires, souvent peu amènes. De ce duo étrange, de cette association originale, le restaurant renaît de ses cendres. Les clients reviennent. Kurô Tanino a ce don unique de nous surprendre, d’amener le spectateur sur un terrain bientôt mouvant sans que nous y prenions garde, avant que tout ne bascule irrémédiablement. Effet de stupeur garantie. Une mise en scène et une scénographie hyper-réaliste, ici on cuisine réellement et la salle hume les odeurs, un huis clos où la banalité et le quotidien entrent sans fracas sur le plateau. Rien de bien spectaculaire en apparence, entre confection des plats, vaisselles et conversations de circonstance avec les rares clients, l’apprentissage de la cuisine et la métamorphose de cet apprenti gauche et de plus en plus assuré. Avant la chute inattendue. Un quotidien sans aspérité s’il n’y avait cette voix qui s’insinue lentement dans les zones obscures du jeune homme, cette relation hors-norme qui voit insidieusement la manipulation aller jusqu’à la dépossession et l’élève dominé perdre sa personnalité. Nous même ne prenons pas garde de ce qui advient de façon sournoise. Le rire devient rictus. Rien n’est laissé au hasard et c’est par petites touches que procède Kurô Tanino, incidemment. Des silences, beaucoup, des absences où le plateau vide prend soudain toute son importance et son inquiétante étrangeté, des clients peu bavards mais à la présence énigmatique et pour certains ambigüe. Paroles distillées mais jamais vraiment anodines. Efficacité de cet hyper-réalisme soigné, de cette banalité, faux-nez d’une réalité sous-jacente bien plus violente, exacerbé par ce huis-clos. C’est à cela que s’attaque Kurô Tanino, une société japonaise urbaine gangrenée par la corruption. Argent, sexe, violence. La manipulation des êtres crédules, naïfs, en manque de repère. Le lavage de cerveau quotidien. L’hyper-surveillance. Sur cette fracture de la société japonaise, traitée plus en douceur et poésie dans L’Auberge de l’obscurité, Kurô Tanino signe ici une mise en scène au cordeau qui jamais n’est encore une fois démonstrative. Il procède en creux, s’attachant à de petits détails, anodins de prime abord, jusqu’à semer le trouble chez le spectateur. Rien n’est laissé au hasard et tout fait sens, des étranges vidéos diffusées entre deux scènes à la bande son fortement ironique. Et c’est lentement que sourd le malaise quand se décillent nos yeux sur la réalité et les conséquences de cet étrange marché entre le cuisinier et son apprenti. Nous même, au fond, manipulé par Kurô Tanino, tombant à pieds joints dans les rets de cette mise en scène intelligente et retorse. Car cette petite voix que nous entendons en même temps que l’apprenti (un effet de mise en scène particulier et dont il faut garder la surprise), entrant comme par effraction dans son crâne, cette voix vrillant l’inconscient de ce jeune homme et qui finit par disparaître dans l’obscurité, a-t-elle jamais réellement existée ?

 

 

© Takashi Horikawa

 

The Dark Master, texte et mise en scène Kurô Tanino

D’après une histoire originale de Marei Karibu et l’oeuvre de Haruki Izumi (ed. Terbrain, Inc.)

Avec Susumu Ogata, Koichiro F.O Pereira, Masato Nomura, Hatsuné Sakai, Kazuya Inoue, Kazuki Sugita

Scénographie Masaya Natsume

Assistanat à la mise en scène Kadachi Kitagata

Lumières Masayuki Abe, Hirokuyi Ito

Son Koji Sato

Décors Takuya Kamiiki

Vidéo Tadashi Mitani et Nobuhiro Matsuzawa

Traduction Miyako Slocombe

 

Du 20 au 24 septembre 2018

Jeudi, vendredi et lundi à 20h

Samedi à 18h, dimanche à 16h

 

T2G, théâtre de Genevilliers

41 avenue des Grésillons

932130 Genevilliers

 

Réservation 01 41 32 26 26

www.theatre2genevilliers.com

 

Festival d’Automne à Paris

Réservations 01 53 45 17 17

www.festival-automne.com

 

 

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