© Nicolas Lo Calzo
ƒƒƒarticle de Denis Sanglard
Trois jours, il n’y eut que trois jours pour découvrir un théâtre méconnu, singulier, le Tchiloli, qui depuis quatre siècles se transmet de génération en génération, de père en fils, dans les villages de São-Tomé-et-Príncipe, pays insulaire parmi les plus petits d’Afrique, face à la côte du Gabon et de Guinée équatoriale. Introduite par les maîtres sucriers portugais, La tragédie du marquis de Mantoue et de l’Empereur Charlemagne, pièce médiévale véhiculée par la littérature de « cordel » (de colportage), drame populaire, épique, peu à peu s’hybride de la culture des natifs africains pour donner forme à un théâtre des plus original, à la fois rituel et identitaire. Une réappropriation qui mêle ainsi sur une scène unique les traditions africaines et européennes. Histoire d’une tragédie, d’un meurtre par jalousie amoureuse suivi d’un procès où la figure de l’Empereur Charlemagne, considéré ici à la fois comme un saint de la chrétienté et comme protecteur des ancêtres, incarne l’œuvre de justice exemplaire. En cela le choix de cet épisode particulier fut aussi pour les esclaves une remise en cause du pouvoir. Mais c’est aussi une cérémonie funéraire élaborée qui célèbre la mort d’un chef où s’exprime là, le culte des ancêtres que n’auraient pu exercer hors de cette occasion, les esclaves autrefois soumis aux maîtres sucriers. (Le tchiloli ne se joue que deux fois par an, le 22 janvier, jour de la fête du saint local São Sant João et depuis 1957, le 15 août, jour de l’assomption de la Vierge Marie). Là encore à la critique du pouvoir se mêlait la revendication et la survie d’une culture. Au texte original s’agrégea d’autres phrases d’importance contribuant à renforcer le processus d’élaboration du rituel. Et le mort est là, que nous avons vu être assassiné, au centre de la scène au long de ce procès, qui veille sur les vivants demandant réparation et justice. Dansé, mimé, chanté, déclamé au rythme des percussions, les acteurs sous le masque, nous sommes aux sources du théâtre, un théâtre archaïque et sacré à qui les santoméens ont su donner une extraordinaire vitalité toujours contemporaine. Tout semble être fait avec les moyens du bord, certes, mais la sophistication vient que chaque détail est signifiant, du costume qui emprunte à l’occident mais aux marqueurs symboliques africains à la gestuelle, la danse où se décèlent l’influence des pavanes, gavottes, menuets et danses villageoises portugaises. Et qu’importe, au vu de cette cérémonie impressionnante et captivante, que les codes nous échappent. Il faut accepter ce que Vitez appelait cet « exercice de l’ailleurs ». La compagnie Formiguinha de Boa Morte défend cet héritage depuis 1956, perpétuant la tradition de père en fils. Sur le plateau, qui ne reproduit pas tout à fait le Kinté originel, la clairière faisant office de scène aménagée dans la brousse, c’est un voyage au cœur d’un théâtre fascinant, naïf, qui n’est pas un terme péjoratif mais l’expression d’un art affranchi de tout académisme, et d’une beauté brute et sans apprêt.
© Nicolas Lo Calzo
Tchiloli, où la tragédie du Marquis de Mantoue et de l’empereur Charlemagne, Compagnie Formiguinha Da Boa Morte
Direction artistique : Vincent Mambachaka, Alvaro José Da Costa Bonfim, Damião Vaz Da Trindade
Scénographie : Yves Collet
Lumières et son : Konongo Cleophas
Traduction : Marie Laroche, Gabriel Pires Dos santos
Surtitrage : Bernardo Haumont
Avec trente acteurs et musiciens.
Du 30 juin au 2 juillet 2022 à 20 h
Théâtre de la Ville / espace Cardin
1, avenue Gabriel
75008 Paris
Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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