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Tatiana, de et avec Julien Andujar, Théâtre de l’Aquarium / Cartoucherie de Vincennes, Festival June Events

Juin 02, 2023 | Commentaires fermés sur Tatiana, de et avec Julien Andujar, Théâtre de l’Aquarium / Cartoucherie de Vincennes, Festival June Events

 

© Vincent Curutchet

fff article de Denis Sanglard

 

Accueilli par une créature almadovarienne, période « Pepi, luci, bom et autre filles du quartier », accent espagnol a couper au couteau, perruque rouge et juste-au corps couleur chair que recouvre à peine une étole comme découpée dans la toile peinte qui tient lieu de décor, nous proposant de la tortilla venue du supermarché d’à côté, avec un petit mot pour chacun, le public est quelque peu déstabilisé, quoique d’emblée hilare, au vu du sujet annoncé. On s’attendait peut être à de la tragédie, un récit dramatique, voire une tragi-comédie, mais certes pas à cela, encore moins à cette drôle d’entrée en matière.

Le 24 septembre 1995, Tatiana, à la veille de ses 18 ans, la sœur de Julien Andujar disparaissait, rejoignant « les disparues de la gare de Perpignan ». Si trois d’entres elles furent retrouvées, leurs meurtriers arrêtés, jugés, seule la disparition de Tatiana ne fut pas élucidée, le corps jamais retrouvé. Le mystère reste entier devenu depuis  un cold-case. Le deuil impossible. Voilà, en préambule ce que Julien Andujar nous raconte. Mais se refusant au pathos, avec une volonté et un talent d’écorché pour mettre la douleur à bonne distance, Julien Andujar signe une performance ébouriffante. Ce qu’il exprime là, c’est vu des yeux d’un gosse de 11 ans qui va faire de tout ça un jeu pour supporter le vide de l’absence, l’incompréhension de cette disparition, et convoquer la puissance du si magique pour se dire que Tatiana n’est jamais partie, ou qu’elle reviendra un jour, et puis aussi parce ce que, comme dit sa mère « avec l’amour, on soigne tout ».

Oui, c’est un formidable et émouvant cri d’amour que cette performance, cette fiction autobiographique, ce conte documentaire, ce drôle de cabaret mâtiné de music-hall qui convoque tous les acteurs de ce drame, avocat, policier, homme-grenouille, les amies consolatrices du collège, Céline Dion, et même, gare de Perpignan « centre cosmique de l’univers » oblige, le peintre Salvador Dali. Sa mère et son père, bien sûr, pour quelques scènes toute en retenues qui vous fauchent net tant l’émotion est soudain palpable et que tombent les masques. Et l’omniprésente Valentina, l’hôtesse à la perruque rouge, l’amie imaginaire, en maîtresse de cérémonie exubérante, double extravertie et fantasque de Julien Andujar, à qui dans un jeu de miroir vertigineux il confie les rênes  de cette mise en scène virtuose et ainsi se tenir judicieusement et volontairement à distance des faits, faire de tout ça encore une fois une fiction, un acte de réparation. Ils sont dessinés, croqués, imités, voix et corps avec juste ce qu’il faut de caricatural, sans jamais charger la barque, mais accusant parfois la bêtise et leur médisance, car il y en eu, de la médisance… Improvisant aussi avec maestria, embarquant fissa avec lui le public, sans jamais lâcher d’un pouce un fil narratif travaillé au cordeau, Julien Andujar joue, chante, danse, vibrionne de cour à jardin à vous en donner le tournis.

C’est totalement et formidablement décalé, les scènes s’emboitant les unes dans les autres comme poupées gigognes, bousculant toute logique apparente, mais d’une progression maligne, implacable et parfaitement maîtrisée de bout en bout. Et comme au cabaret le trivial côtoie la poésie, la réalité le songe, traversé d’une sacré dose de folie. C’est d’une fragilité bouleversante qui en fait toute sa force et sa beauté. Au fond ce qui est exprimé là, tendu par une souffrance encore à vif, une sensibilité perceptible, c’est comment mettre en scène à la fois cette disparition et son exorcisme. Se refusant à tout sentimentalisme ou sensationnalisme outrancier, c’est au contraire sous l’exubérance d’une grande pudeur. Le théâtre est un lieu mémoriel, de réparation et de la scène, de cet étrange cabaret où sourd derrière le rire en rafale une écorchure vive, qui lentement vous atteint et vous touche au plus profond, Julien Andujar fait un cénotaphe pour une disparue, Tatiana, qui hante encore les nuits d’un petit frère de 11 ans devenu ici un clown pour ravaler ses larmes, convoquer la magie du théâtre et ainsi réparer les vivants et que vive dans son abscence même Tatiana, que résonne encore la beauté de son nom.

 

© Vincent Curutchet

 

 

Tatiana texte et interprétation de Julien Andujar

Musicien, compositeur et régisseur son : Alec Andujar

Création lumière et régie générale : Juliette Gutin

Scénographie et création costume : Rachel Garcia

Accompagnateur.rice aux écritures : Audrey Bodiguet et Yuval Rozman

Accompagnatrice vocal : Mélanie Moussay

 

 

Vu le 1er Juin 2023 dans le cadre du festival June Events

Théâtre de l’Aquarium

Cartoucherie de Vincennes

Rte du Champ de Manœuvre

72012 Paris

 

Festival June Events

du 31 mai au 17 juin 2023

Réservations : 01 417 417 07

Programmation : www.atelierdeparis.org

 

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