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Sycomore, de Saphir Belkheir, à la MC93, Bobigny

Mai 21, 2025 | Commentaires fermés sur Sycomore, de Saphir Belkheir, à la MC93, Bobigny

 

© Jérémy Piot

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

C’est un losange que forment les rangées de spectateurs de cette scène quadrifrontale. Ce n’est pas un carré. Ce ne sont pas des angles droits. C’est peut-être un détail pour vous mais c’est pourtant, très sensiblement, une autre approche qui s’institue, sans tambour ni trompette, échappant au pré carré des catégories et normes qui font loi, même dans le monde du spectacle. Queer n’est pas un vain mot, un gros mot, démontre par les actes Saphir Belkheir, artiste franco-algérien installé à Marseille, ce devrait plutôt être le maître-mot de toute recherche et toute poésie.

Dans l’obscurité de la salle, un homme-phare ou cyclope fantastique nous environne, tandis qu’une mélopée nous enveloppe, voix vocodée et ruisselante d’échos, enluminée par une musique planante. Disque de lumière, pareil à un soleil couchant, longeant de part en part les quatre faces extérieures de l’assemblée. C’est d’un ailleurs que l’on communique avec nous, c’est ailleurs qu’il nous faut aller. Alors que cette présence troublante et rassérénante à la fois circule autour de nous, c’est un peu la question de l’encerclement qui s’immisce dans une féconde inversion des positions, manière très subtile de nous mettre à la place de l’autre en scène, de devenir nous-mêmes l’objet de cette rencontre (relire La politique encerclée de Stefano Harney et Fred Motten). Il y a du rituel dans tout cela, mais dans tout rituel n’y a-t-il pas aussi une bonne dose de politique ? Encercler, c’est aussi embrasser. Saphir Belkheir réussit de bout en bout l’exploit d’être à la fois le noyau de sa performance tout en nous faisant glisser et occuper ce centre dont il deviendrait lui-même la circonférence. Sycomore est indéniablement travaillé par une éthique de l’hospitalité, de l’invitation à l’autre, à lui faire place. A cet autre qui est en soi, et à celui qui est en face. Au passé qui nous travaille et à l’avenir qui nous regarde. Une traversée des apparences dans la douceur comme dans un rêve éveillé. Pessoa s’invite en nous dans cet état fiévreux où les vivantes images se parent de sons à la dérive, comme dans la chaloupe d’un songe ensommeillé. « C’est pour toi que je fleuris déserte » écrit quelque part le poète portugais. Allongé au sol, l’immobilité est la mère de tous les mouvements, de tous les imaginaires. Ouvrant le voyage, comme la clef d’un passage secret, un bras s’érige pareil à un serpent sortant de son panier, entame sa danse hypnotique. Dans cette dissociation d’un bras et d’un corps endormi, le réel se met à converser avec la fiction et le fantasme, le passé perce l’instant. Présence et absence deviennent indémêlables. Il y a, sous-jacent à ce Sycomore, bien qu’invisible à l’œil, quelque chose de véritablement somnambulique, qui nous lie et nous relie profondément, bien au-delà de ce que les mots pourraient exprimer.

Saphir Belkheir est en perpétuelle expansion, métamorphose de lui-même. Un turban noué en chignon se déploiera en voile, fera surgir l’exotisme colonial du harem indissociable du stigmate dont se sont aujourd’hui emparés les politiques. Le performeur, s’il prend le temps nécessaire à la floraison de chaque nouvelle figure, est en perpétuelle fabrique de lui-même, comme un tissu aux motifs variés que l’on ne finirait jamais de dérouler. Dans ce parcours énigmatique et symbolique, Sycomore révèle le sillage formé par l’écume de ces mues successives, effaçant masculin, féminin, et tout autre typologie sociale, pour faire advenir la vérité poétique d’un être, irréductible à toute représentation.

Sycomore est enfin une œuvre elle-même queer par sa nature hybride convoquant autant le son, que la danse ou la vidéo, tout en déplaçant les frontières habituellement dévolues à chacune de ses formes. Elle embrasse le vivant dans toutes ses modalités et y essaime sa discrète et féconde pensée.

 

© Luisa Ben

 

Sycomore, conception et interprétation de Saphir Belkheir

Collaboration artistique :  Morgane Brien-Hamdane

Création lumière : My Bertin

Création musicale et musique live : Syqlone, et les équipes de la MC93

Générique du court-métrage : réalisation Saphir Belkheir

Avec Saphir Belkheir et Maëlice Joyce Denis

Chef opérateur : Makoto C. Friedmann

Assistante réalisation : Mélodie Preux

Création lumière : Alice Brunnquell

Montage et étalonnage : Tomè-Manon Cotte

 

Du 10 au 15 mai 2025

Durée : 1h

 

MC93

9 boulevard Lénine

93000 Bobigny

Tél : 01 42 87 25 91

https://www.mc93.com/

 

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