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Sur les cendres en avant de Pierre Notte au Théâtre du Rond-Point

Avr 19, 2016 | Commentaires fermés sur Sur les cendres en avant de Pierre Notte au Théâtre du Rond-Point

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© Giovanni Cittadini Cesi

Quatre femmes égarées dans leur quotidien, quelque peu déboussolées. Un appartement calciné, un mur qui s’écroule, une cohabitation obligée, des malentendus et des dégâts et trois vies cramées, bientôt quatre, qui sur les cendres de leurs désastres intimes rêvent d’un avenir meilleur et flamboyant. Il y a mademoiselle Rose, broyant du noir les fesses vissées sur les débris de sa chaise et de sa vie après l’incendie de son appartement. Il y a Macha et Nina les deux sœurs, les voisines. Macha affamée qui se prostitue et Nina qui rêve de faire des claquettes à Broadway. Plus tard viendra la femme armée, l’épouse du forain, celui qui tient le stand de tir, client de Macha. Très vite désarmée et désarmante. Ce mur éventré entre les deux voisines ouvre sur des vies ravagées, des béances existentielles. On s’explique vertement, c’est tendu, ça menace, ça se calme, ça s’arrange. Et de malentendus en confidences elles vont s’unir pour en finir avec la chienlit. Et l’union faisant la force, un nouveau destin en commun se dessine avec la liberté au bout du chemin. Sans hommes et sans entraves…

Pierre Notte signe un nouvel opus. Pas une comédie musicale vraiment, pas un opéra non plus ni une opérette mais du théâtre chanté, « un truc à la Michel Legrand » pour reprendre une réplique de Nina. Oui c’est un peu ça, il y a du Legrand et du Demy où le quotidien est chanté aussi simplement que l’on respire. Mais avec Pierre Notte c’est toujours aussi barré, aussi caustique et poétique. Les situations sont doucement loufoques, les personnages ont un grain de folie sous l’amertume et c’est ce grain qui finit par l’emporter. Dans ce décor esquissé, pour des raisons budgétaires annonce la voix off (géniale Nicole Croisille), où le plafond ne cesse de s’effriter comme l’avenir de ces quatre femmes perdues au bord de la crise de nerf, c’est une drôle de comédie humaine qui se chante – fort bien d’ailleurs-. Pierre Notte fait souffler un vent d’espoir et de solidarité zesté de féminisme. Ces quatre destins blousés par la vie et les hommes qui se réunissent pour enfin prendre en main leur destin ça fait un peu-beaucoup mélo, et Pierre Notte avec malice en joue, mais c’est sans compter sur l’originalité de cet auteur et metteur en scène qui sait avec bonheur dessiner des personnages hors pairs et sans équivalent dans la dinguerie. De doux dingues qui ne sont jamais vraiment ce qu’ils paraissent et se révèlent au bout du compte complétement décalés. Capables devant la menace armée qui risquent bien de vous achever de discuter et de pinailler pour déterminer si c’est une carabine ou un fusil qui vous visent. De s’éplucher les jambes à l’épluche-légumes pour mieux les affiner pour enfin être la « sœur Thérèsa de la claquette »… Un décalage donc que le chant souligne et étrangement même provoque. Et c’est justement elle, la musique, qui au final mène cet étrange bal. Tout finit en chanson dit-on. Là tout commence et s’achève en chanson. Pas de grands airs ni de rengaines, du quotidien, des phrases toute bêtes où demander un café se chante, se chante la triste histoire de madame Rose. Et c’est elle, la chanson, qui ouvrira un autre destin à ces femmes. L’avenir est dans la musique, le salut dans le cabaret et les claquettes. Alors « Ce truc à la Michel Legrand » est plus qu’un truc, c’est une jolie fable rondement chantée, jouée et mise en scène où l’on ne s’étonne pas plus que ça qu’on y chante et enchante sa vie. Tout est tellement étrangement, merveilleusement décalé… Pas de play-back, les actrices ne sont pas Catherine Deneuve. Elles sont épatantes dans ce numéro d’équilibriste parfaitement réussi entre jeu et chant. Chacune campée dans son personnage bourré de paradoxes et de rêves empilés comme les biscottes cramées de madame Rose. Tant réussi que cela nous semble le plus naturel du monde. A s’étonner que nous même n’en faisons pas autant au sortir du théâtre, de demander un café en poussant la chansonnette en mâchant des biscottes cramées.

Sur les cendres en avant texte, musiques et mise en scène de Pierre Notte
Assistante à la mise en scène Claire Fretel
Costumes, Sarah Dupont
Régie Générale, Brice Hillairat
Lumières, Antonio de Cavalho
Transcriptions musicales, Paul-Marie Barbier
Son, Olivier Bergeret
Conseiller spécial en magie, Arthur Dreyfus
Avec Juliette Coulon, Blanche Leleu, Chloé Olivères, Elsa Rozenknop
Piano, Donia Berriri
Voix, Nicole Croisille

Théâtre du Rond-Point
2bis avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Du 14 avril au 14 mai 2016 à 21h
Dimanche à 15h30, relâche les lundis 19 avril, les 1er, 5 et 8 mai
Réservations 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

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