Critiques // Sur le pas de ta porte, chorégraphie de Selim Ben Safia – Festival Printemps de la danse arabe, Institut du Monde Arabe

Sur le pas de ta porte, chorégraphie de Selim Ben Safia – Festival Printemps de la danse arabe, Institut du Monde Arabe

Avr 05, 2019 | Commentaires fermés sur Sur le pas de ta porte, chorégraphie de Selim Ben Safia – Festival Printemps de la danse arabe, Institut du Monde Arabe

© Alain Badier

 

ƒƒ article de Marguerite Papazoglou

Pour la deuxième journée du festival de danse arabe (22 mars – 28 juin 2019), deux visions singulières du corps confronté à l’adversité : Sur le pas de ta porte duo à trois de Selim Ben Safia est présenté à la suite de Logos solo d’Adel El Shafey. Deux chorégraphes qui s’inscrivent résolument dans le paysage de la danse contemporaine. Recherche chorégraphique et abstraction (mais) qui ne font pas l’économie d’une parole polémique.

 

Sur le pas de ta porte, frontière ou passage. Là par où on entre ou sort. Il s’agit du chez soi, du fait d’appartenir à quelque chose et de ses contraires, quand la porte s’ouvre pour ne plus se refermer : errer, être exposé, sans soutien mais aussi avancer, assimiler et accepter, accueillir. D’ailleurs le mélange, celui des matières, des références culturelles, des esthétiques et des disciplines semble être le parti pris assumé pour cette pièce qui met en scène sans anesthésie la question de l’émigration et immigration.

Une façon d’affirmer un monde riche de pluralité culturelle — ou d’en poser l’utopie.

La pièce s’ouvre sur le son du violon de Zied Zaouri amplifié et traité de sorte à le faire ressembler aux cordes frottées d’un yali tambur jouant un makam arabo-turc auquel s’immiscent des inflexions occidentales classiques, free jazz et contemporaines, entre réminiscences ancestrales et écho du monde moderne. On ne connaît pas l’origine de ce qu’on entend. A peine devine-t-on deux corps mais la lumière se fait sur l’entrée d’une femme en jupe et talons qui marche sur les bords de la scène. Le violoniste continue son remarquable dialogue des esthétiques dans un jeu avec le son électro, qu’il co-signe avec Imed Alibi et Khalil Hentari, quand la lumière se fait sur un troisième corps qui instantanément s’effondre. C’est un homme noir aux vêtements informes, au sol, Marwen Errouine, danseur et chorégraphe, poignant, aux mouvements déconstruits d’une lenteur extrêmement fluide ou électrique, les doigts tendus dans le prolongement de spirales au sol improbables. Il semble dans un espace-temps irréel, un ailleurs qu’on ne veut pas intégrer dans notre réalité : l’espace où la femme continue de marcher impassible, semant des vêtements qu’elle fait glisser de ses épaules un à un.

La partition se développe toute entière entre allégorie et poésie, volontiers énigmatique. Les mondes de l’homme étranger et de la femme qui souffre dans sa tentative de faire pont seront amenés à se frôler, se contaminer, se mêler l’un à l’autre. Pas de tango esquissés, portés classiques, corps empêtrés, masse de vêtements, tout se presse dans un espace bien trop petit. Etouffement, xénophobie et racisme, portés aussi par les mots crus énoncés par la danseuse Alice Kinh. Tellement simples qu’on croirait en entendre les voix qui les profèrent, tellement inoubliables aussi comme les vrais visages des hommes et femmes marqués par ce voyage. Ce sont ceux de Warsan Shire, poétesse somalienne porte-voix de ceux qu’on n’entend et ne voit pas.

Une pièce tissée de mots, de danse et de musique qui jetée dans une course en avant implacable concrétise l’urgence. L’urgence de celui qui est/reste sur le pas de la porte. Urgence de (sur)vivre certes mais aussi celle de dire.  La femme habillée finie transfigurée dans une lumière qui lui coup le visage en deux. Où est la maison ? Y en a-t-il finalement ?

Je laisse la conclusion à Warsan Shire, disant de son travail : « I’ve never been to Somalia, and I’m Somali. So the poems for me are a way of creating a connection to a country I’ve never been to. I don’t know how it feels to belong, or to be home or anything like that. »

 

 

Sur le pas de ta porte, de Selim Ben Safia

Création chorégraphique et mise en scène : Selim Ben Safia
Création musicale : Imed Alibi, Khalil Hentati, Zied Zouari
Texte : Poème Home de Warsan Shire
Avec les danseurs Alice Kinh et Marwen Errouine et le musicien Zied Zouari

 

Le 23 mars à 20h à l’Institut du Monde Arabe

Durée 50 minutes

 

Institut du Monde Arabe

1 Rue des Fossés Saint-Bernard

75005 Paris

 

Réservation au 01 40 51 38 38

www.imarabe.org/fr/actualites/spectacles/2019/le-printemps-de-la-danse-arabe1

www.imarabe.org

 

 

Tournée

 

Chawchara (nouvelle création), Selim Ben Safia & Marwen Errouine

Le 24 avril 2019

Cité de la Culture – Tunis

 

Le 1er mai 2019

Festival Tunis capitale de la danse

 

Le 29 juin 2019

Festival Journée Chorégraphique de Carthage – Tunisie

 

Le 20 janvier 2020

Théâtre Vasse – Nantes

 

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