Critiques // « Supplici a Portopalo », de la tragédie d’Eschyle à la parole des réfugiés / Festival de l’Imaginaire

« Supplici a Portopalo », de la tragédie d’Eschyle à la parole des réfugiés / Festival de l’Imaginaire

Avr 11, 2010 | Aucun commentaire sur « Supplici a Portopalo », de la tragédie d’Eschyle à la parole des réfugiés / Festival de l’Imaginaire

Critique de Camille Hazard

Dans la nuit de Noël 1996, 386 immigrés se noyaient dans leur embarcation de fortune au large de Portopalo en Italie. Dans la tragédie d’Eschyle Les Suppliantes, les cinquante filles du roi Danaos cherchent refuge dans une Citée grecque, fuyant l’Egypte et implorant asile et protection. Ces deux tragédies sont mises en lien et portées sur scène en ne posant qu’une seule question : « Que peut on faire pour éviter ces tragédies humaines ? »

La forme de ce spectacle pourrait s’appeler « Conférence théâtre »

Sur scène : un acteur, pour porter la voix des protagonistes, un metteur en scène présent sur le plateau en tant que narrateur pour éclaircir les situations et les parallèles entre les deux tragédies, une actrice congolaise qui traduit les mots du metteur en scène en français, de la vidéo pour nous confronter à la réalité des images filmées dans un camp de réfugiés à Portopalo enfin, de la musique, des sons qui nous entraînent dans l’univers des rites anciens et contemporains.

Le metteur en scène nous emmène de façon objective, dans une réflexion qui ne cesse d’alimenter les débats politiques et les journaux télévisés : « La décision difficile que l’état doit prendre quant à la demande d’asile de personnes qui ont fui la guerre, la faim, la pauvreté. » Les trois acteurs, munis chacun d’un micro, ont un rôle bien défini et la forme de ce spectacle est tout à fait étonnante ! L’exceptionnel acteur Vincenzo Pirrotta est au premier abord assez déconcertant : une voix tonitruante, des gestes mécaniques, des rythmes vocaux obsessionnels…Puis en se laissant aller, sans que l’on s’en rende compte, on est comme envoûté par les histoires qu’il raconte, par les personnages qu’il incarne. L’énergie qu’il déploie devant nous, nous porte à la frontière de l’univers antique avec ses rites, ses danses, ses transes et nous porte à la fois dans l’univers de ces immigrés clandestins qui eux aussi on recourt aux mêmes chants, aux mêmes rites et aux mêmes transes pour ne pas sombrer dans la douleur. Tout ce jeu sous la forme d’un cunto : conte de tradition sicilienne datant du 10éme siècle.

Retour vers un théâtre antique

Tout au long du spectacle, le metteur en scène revient sur la fonction même du théâtre de nos jours. À l’époque d’Athènes, celui-ci avait d’abord un rôle civique : il s’attaquait aux débats politiques, encourageait les médiations collectives et surtout était accessible à tous ! Le théâtre actuel dit « engagé » n’est rien d’autre en réalité que ce théâtre antique. Voilà aussi pourquoi le parallèle entre Eschyle et cette catastrophe contemporaine est aussi évident, il permet de dépasser le cadre de la catastrophe de Portopalo pour devenir un problème occidental qui nous concerne tous. L’idée même de nous présenter une actrice congolaise qui traduit et donc nous parle directement, renvoie aux apprentissages, aux histoires de familles, aux contes transmis oralement dans la tradition africaine. Et cela nous donne une grande responsabilité car celui qui écoute, qui reçoit la parole, celui-ci doit le rendre à son tour pour ainsi, ne jamais oublier. La scénographie est quasi inexistante et c’est tant mieux ! Le concept et le jeu du comédien suffisent amplement à nous secouer. Vincenzo Pirrotta est toujours debout sur le côté gauche de la scène tandis que le metteur en scène et l’actrice qui traduit, sont assis côte à côte sur des chaises. Au centre, un écran géant sert à la traduction du texte et à la vidéo.

Ce spectacle, à la forme tout à fait étonnante, secoue, interroge tout le public et surtout ceux qui croient encore que le théâtre est un moyen pour interroger, organiser des réflexions collectives et humaines.

Supplici a Portopalo
Mise en scène : Gabriele Vacis
Dramaturgie : Monica Centanni
Avec : Vincenzo Pirrotta, Gabriele Vacis, Dorcas Mpemba Ngalula
Son : Roberto Tarasco
Assistante à la dramaturgie : Anna Banfi
Vidéo : Giandomenico Musu / Michele Fornasero

Les 9 et 10 avril 2010 à 20h30
Dans le cadre du Festival de l’Imaginaire

www.festivaldelimaginaire.com

Maison des Metallos
94 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris
www.maisondesmetallos.org

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