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Splendid’s de Jean Genet, mise en scène de Arthur Nauzyciel, Théâtre de la Colline

Mar 22, 2016 | Commentaires fermés sur Splendid’s de Jean Genet, mise en scène de Arthur Nauzyciel, Théâtre de la Colline

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© Frédéric Nauczyciel

Splendid’s. Sept gangsters assiégés dans un hôtel après le kidnapping et le meurtre d’une fille de millionnaire. Ils vont jouer au jeu de la vérité, règlement de compte avant l’ultime assaut. Sous les yeux d’un flic fasciné ayant trahi son camp.

Mise en scène crépusculaire et sensuelle, à l’érotisme cristallisé, d’Arthur Nauzyciel. Mais avant ça et comme un superbe écho, Un Chant d’Amour, le film longtemps interdit de Jean Genet, offert comme un prologue nécessaire. Film sur le désir sexuel de prisonniers amoureux sous l’œil voyeur d’un maton. Toute la mise en scène d’Arthur Nauzyciel est un hommage rendu, explicite, à ce film, où explose et s’affiche le désir sublimé. Un huit clos qui pue le sexe et la mort, sans échappée possible. Splendid’s c’est aussi et avant tout un fantasme, celui d’un voyou homosexuel qui se rêve gangster américain. Et c’est monté comme ça, comme un polar noir et torride, hollywoodien et magnifiquement subversif. Effet accentué par la version anglaise délibérément choisie et aux sous-titres français. Arthur Nauzyciel n’oublie pas les corps, habillés de tatouages, qu’il sublime. Il y a le texte magnifique de Jean Genet bien sûr et pour son expression le corps de ces huit acteurs, toujours en tension, jusqu’à la torsion, exprimant le désir, une tension érotique poignante. Ce n’est pas franchement réaliste ces corps parfois tordus, comme suspendus, tendus, palimpsestes physiques du texte de Genet, mais qu’importe, ce qui s’exprime alors c’est toutes les contradictions, les aspirations, les désirs à peine ou difficilement refoulés. Ils sont superbes certes mais plus que ça, ils sont terriblement vivants à danser en quelque sorte cette danse de mort. Où la séduction ne passe plus par le texte mais par cette respiration étrange des corps qui s’affrontent comme on fait l’amour sans jamais pouvoir se toucher. Ce que le texte ne dévoile pas mais laisse génialement transpirer. Ce qui est formidable ici c’est combien la distance entre eux, accentuée par la mise en scène, sur le plateau exacerbe le désir, métamorphosé en sublime jeu de massacre inéluctable. Je t’aime, je te tue. Cet étage assiégé est une taule. Arthur Nauzyciel file la métaphore induite par le prologue, le film Un Chant d’Amour, et chaque porte devant laquelle chacun se tient, au début du moins, est la porte virtuelle d’une cellule. Ils sont à la fois en dehors et au dedans. Car il s’agit bien d’enfermement, chacun est prisonnier de soi, de son désir, de ses fantasmes et de sa réalité. La parole circule de l’un à l’autre qui semblent pourtant ne pas se voir, exacerbant ainsi les corps en attente. Cette parole, c’est le bouquet de fleurs que l’on se passe d’une cellule à l’autre dans « Notre-Dame-des-Fleurs », image insensée, incongrue de poésie retrouvée dans Un Chant d’Amour. Une parole tranchante, poétique et mensongère, chacun rêvant ce qu’il n’est pas. La mort seule peut enfin désillusionner ou au contraire renforcer le mensonge. Il n’y a que le corps et le sexe qui ne trahissent pas.

Arthur Nauzyciel dilate le temps, le diffracte. Il ne précipite rien, étire au contraire au maximum. C’est une cérémonie funéraire, lente et grave. Un protocole amoureux et mortuaire. Et cette distorsion du temps, cette dilatation ne rend la situation que plus explosive avant le dénouement fatal et tragique. La parole circule donc, sans effet, neutre presque et comme chuchotée mais continue, sur un seul souffle, une seule respiration. Rien de monotone pour autant, comme les corps la parole est tendue par l’urgence, calme avant la tempête. C’est un chœur, une même voix, que ces huit-là. Qui jouent et dansent – oui on peut considérer cela comme de la danse – la même partition brûlante sans fausse note. Ils sont superbes, troublants, subversifs mais sans une once de vulgarité. Par eux la mise en scène trouve avec éclat sa cohérence, son unité, sa justesse. Et le texte de Jean Genet étonnement habité, prend corps au réel. Un seul et même corps démultiplié qui s’exprime d’une seule voix. En cela aussi Splendid’s est une réussite. Arthur Nauzyciel exprime ainsi tout le suc subversif de Jean Genet sans rien céder à sa poésie vénéneuse. Et fait de Splendid’s aussi un chant d’amour.

Splendid’s
Texte Jean Genet
Traduction anglaise Neil Bartlett
Mise en scène Arthur Nauzyciel
Décor Riccardo Hernandez
Assisté de James Brandily
Lumières Scott Zielinsky
Collaboration artistique et travail chorégraphique Damien Jalet
Costumes et tatouages José Levy
Assisté de Fabien Ghernati
Son Xaver Jacquot
Avec Jared Craig, Xavier Gallais, Ismail Ibn Conner, Rudy Mungaray, Daniel Pettrow, Timothy Sekk, Neil Patrick Stewart, James Waterston ou Michael Laurence et la voix de Jeanne Moreau

Du 17 au 26 mars 2016 à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30

La Colline-Théâtre national
2, rue Malte Brun – 75020 Paris
Réservations 01 44 62 52 52
www.colline.fr
Théâtre Vidy-Lausanne-Suisse du 19 au 21 avril 2016
CDDB-Théâtre de Lorient, CDN le 27 et 28 avril 2016

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