Critique de Bruno Deslot –
Un palace sous Haute surveillance
Quelque part en terre arabe, un crime a été commis ! Un hôtel de luxe à l’intérieur duquel sept malfrats sont enfermés. A l’extérieur, la foule hurlante s’animant au rythme des annonces de la radio. A deux heures de la fin, faut-il se rendre honteusement ou résister en se livrant à un jeu de massacres ? La tension est à son maximum !
© Mirco Magliocca
Imprégnées d’une ambiance genètienne et forts d’un travail amorcé au Maroc, Cristèle Alves Meira et sa troupe poursuivent leurs investigations en présentant Spendid’s à l’Athénée. La musique orientale s’immisce avec élégance dans les couloirs du théâtre, les cariatides de la grande salle illuminent un espace inattendu au sein duquel l’élégance va bientôt se mêler à la trivialité. Le rideau de scène est baissé. L’action se déroule ailleurs. Au centre de la salle, un podium de quatre mètres sur quatre constitue le ring sur lequel les comédiens se rencontrent, s’opposent, s’affrontent, se heurtent, doivent faire tomber les masques et s’assumer bien malgré eux. Le public, témoin de cette parade, encerclent le dispositif scénique, à l’image de cette foule s’amassant devant le palace dans lequel l’Américaine est retenue en otage.
Seul en scène, armé et torse nu, Johnny marche ! C’est le temps de la réflexion qui s’installe tout comme les spectateurs dans la salle !
A cette heure du jugement dernier, sept voyous vont investir l’espace scénique pour effectuer un choix d’autant plus difficile que le passé leur revient à l’esprit comme une salve d’artillerie ! Le moment est tendu, le propos toujours plus acéré. Ils s’expriment devant le Policier, celui qui a retourné sa veste en les rejoignant. Leur complice, certes, mais qui les dominent par son esprit d’initiative et la lucidité provocatrice de ses analyses. Les autres truands constituent une galerie de portraits mettant l’accent sur la nuance de leur tempérament respectif.
Il y a Jean dit Johnny, chef de bande, bientôt mis en cause et déchu. Scott dont la cinquantaine lui accorde presque le statut de sage. Riton, belle brute et probable assassin de la riche américaine. Rafale, le pragmatique et lâche s’avouant pour tel. Bob, le beau parleur cynique et lâche. Bravo, l’homosexuel manœuvrier. Pierrot, l’être qui n’existe que par décalque de son frère mort. A deux heures de la fin, cette bande de vauriens doit inventer la fin de son histoire !
© Mirco Magliocca
Sur le ring, ça manque d’uppercuts !
Sur le ring, les hommes, toujours armés, évoluent entre adresses au public ou regards prononcés, incluant le spectateur dans la problématique même de la pièce. La scénographie fait l’économie de décors inutiles. L’intérieur de la grande salle suffit à suggérer celui du palace où sont enfermés les bandits à la fois preneurs d’otages et prisonniers. Les interventions de la radio sont retransmises par bande son en arabe surtitré, permettant d’introduire ce narrateur omniscient comme un personnage à part entière et de lui donner un caractère intrusif. Tous les éléments permettent à la proposition de donner une tension extrême et permanente à la dramaturgie genétienne et pourtant cela ne prend pas !
Cristèle Alves Meira a souhaité étirer le temps durant une bonne partie du premier acte, temps de la réflexion et des métamorphoses pour les bandits. Tout est ralenti, diction, mouvement des corps, expression des visages. Seul la voix de la radio semblent éveiller l’intérêt du public. L’ennui s’installe rapidement, trop sans doute !
La tension dramatique s’en trouve altérée et engage le spectateur vers une fin essoufflée et précipitée. Certes, la construction du texte de J.Genet n’est pas aisée car déséquilibrée, mais C.Alves Meira aurait pu procéder à un découpage moins évident et maintenir les comédiens dans cette urgence plus nuancée et déstabilisante !
Malgré une distribution assez inégale, on retiendra l’interprétation remarquable de Pascal Tagnati dans le rôle de Pierrot, nu et possédé par l’image spectrale de son frère mort. Immaculé de sang, le visage prostré, il se livre à nous sans pudeur, se roulant à terre comme un épileptique. Eclairé par la lumière divine, il offre au regard inquisiteur l’image christique d’un corps sacrifié. Bravo, qu’interprète Tewfik Jallab, est tout aussi touchant.
Splendid’s n’atteint pas sa cible mais tente tout de même l’impossible, tout comme ces gangsters enfermés dans l’hôtel !
Splendid’s
De : Jean Genet
Mise en scène : Cristèle Alves Meira
Avec : Cédric Appietto, Saïd Bey, Nebil Daghsen, Hammou Graïa, Tewfik Jallab, Jean-Emmanuel Pagni, Lahcen Razzougui, Pascal Tagnati, Hala Omran
Collaboration artistique et dramaturgie : Valérie Maureau
Scénographie : Yvan Robin
Lumières : Jérémie Gaston-Raoul
Costumes : Benjamin Brett, Clotilde Lerendu
Univers sonore : Nicolas Baby
Traduction : Zohra MakachDu 20 septembre au 8 octobre 2011
Le mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h
Matinées exceptionnelles dimanche 2 octobre à 16h et samedi 8 octobre à 15hAthénée Théâtre Louis Jouvet
7 rue Boudreau, Paris 9e
Métro Havre Caumartin – Réservations 01 53 05 19 19
www.athenee-theatre.com