© Marylou Tamagnini
ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
Je n’y connais rien en arts martiaux. Pourtant, sans prendre grand risque sinon celui de me faire raccourcir, il serait fort à parier que ces arts-là, comme d’ailleurs tous les autres arts du vivant, gagent leur réussite dans leur entrée en matière. C’est une question de placement initial : tactique, éthique, artistique. La juste note qui se met à résonner à cet instant-là, dans cette ouverture-là, portera sa garde jusqu’à l’achèvement du combat ou du geste artistique. Celle de Yan Allegret est légère, précise et flottante dans le même mouvement, dessine et nimbe le trait, l’estompe, déjouant ainsi son amorce comme si elle devait se fondre, indistincte, dans la vie qui la précède. Il n’y aura pas de début comme il n’y avait pas de fin au Médée matériau interprété par Valérie Dréville et mis en scène par Vassiliev. Comme le bras de la justice, Solo Arts Martiaux tient dans un parfait équilibre art du présent et art du récit. Il les tient en respect, à tous les sens possibles de l’expression. C’est une lame incisive que de savoir et pouvoir jouer et déjouer la fiction de la représentation. Elle aura bien lieu mais comme un songe quand on ne s’y attendrait plus, ou comme un rêve quand il vient nuitamment honorer les attentes du réel. Yan Allegret construit, à sa manière unique, un théâtre documentaire, un théâtre où inscrire les lignes du passé comme un ring pour le présent, un théâtre de la réminiscence où les événements s’emboîtent et s’enrichissent par la congruence de leur sens. Ce n’est peut-être pas une destinée, mais cela offre dans tous les cas une dramaturgie puissante : par le déroulé de sa propre histoire, c’est la concordance de l’aïkido et du théâtre qui se fait jour, et, au fil des mots, l’émotion grandit de voir s’épouser le sens profond de ces formes que l’on pensait étrangères : qu’il s’agisse de l’invocation des invisibles (les kamis) ou encore d’un texte de Jean Genet « Violence et brutalité », Solo Arts Martiaux agit comme une maïeutique. Le geste qui tranche, radical, qu’il participe du champ artistique ou des arts martiaux, est, sous le regard de ses semblables, la réponse sans compromis de la vie en l’homme à la brutalité du monde.
La beauté entêtante de la proposition de Yan Allegret tient à sa ténuité quand elle pourrait n’être que force, à sa pratique de la parole qui, si elle enseigne, n’est jamais surplombante ni didactique mais partage et ouverte au vent poétique d’une pensée en mouvement, d’une pensée engagée dans le nu du vivant. Dans cette salle haut perchée du Nouveau Gare au Théâtre, il y a un peu du grenier de l’enfance, un espace où le temps semble se suspendre, il y a la délicatesse du souffle et la justesse des silences, jamais solennels, pareils à des bulles d’air qui viendraient éclore à la surface de l’œuvre en train de s’écrire devant nous. Il y a le ballet des gestes rigoureux et le tissage des mots qui sont l’arme des pensées. L’idée se fait limpide, possède la clarté d’un corps présent à son acte. Entre les larmes d’un champion de MMA et le combat farcesque, à la demande du public, d’un Athénien et d’une habitante de Lesbos, Yan Allegret essaime ses points de contact entre ses deux pratiques, théâtre et aïkido, comme des petits cailloux blancs, réalise un théâtre d’ombres portées qui n’est que lumière et reflet. De le suivre ainsi pas à pas, dans la simplicité épurée d’une estampe japonaise, effaçant, retranchant, avançant par ellipse, faisant le vide, arasant le drame, on est gagné par une douce et lumineuse sensation de plénitude. Si ce Solo Arts Martiaux voyage avec évidence dans l’art et la culture japonaise, en émane aussi un indéniable parfum proustien : par la subtilité de ses rapprochements, par la joie lumineuse de ses retrouvailles, par la labilité de ses couches temporelles entrelacées, aériennes, c’est bien la courbure d’un bois qui se révèle inscrivant son immémoriale danse dans l’infime arc d’une existence humaine.
© So Weiter
Solo Arts Martiaux, conception de Stéphane Facco et Yan Allegret
Interprétation : Yan Allegret
Assistanat à la mise en scène : Loleh Feraud
Regard extérieur : Yoshi Oïda
Collaboration artistique : Ziza Pillot
Direction d’acteur : Stéphane Facco
Création lumière et régie générale : Philippe Davesne
Assistanat lumière : Aurélius Allegret
Conseillers Arts Martiaux : Manon Soavi & Romaric Rifleu
Durée : 1h20
Avant-premières les jeudi 9 janvier à 20h30 et vendredi 10 janvier 2025 à 14h30 et 20h00 :
Nouveau Gare au Théâtre
13, rue Pierre Semard
94400 Vitry-sur-Seine
01 43 28 00 50
https://nouveaugareautheatre.com
En tournée :
Vendredi 17 janvier 2025 à 20h30 (création)
CRESCO
4 avenue Pasteur, 94160, Saint-Mandé
Tél : 01 46 82 85 00
https://www.saintmande.fr/pratique/culture-et-loisirs/cresco
Jeudi 30 et vendredi 31 janvier 2025, à 19h30
La Baignoire
7 rue Brueys, 34000, Montpellier
Tél : 06 01 71 56 27
Vendredi 7 février 2025
Espace Gérard Philipe
26 rue Gérard Philipe, 94120, Fontenay-sous-Bois
Tél : 01 49 74 76 61
https://www.culture.fontenay.fr/index.html
Lundi 26 mai 2025, à 20h30
Centre des Bords de Marne
2, rue de la Prairie, 94170, Le Perreux-sur-Marne
Tél : 01 43 24 54 28
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