Critiques // « Si tu me regardes, j’existe » de Francesca Volchitza Cabrini à la Folie Théâtre

« Si tu me regardes, j’existe » de Francesca Volchitza Cabrini à la Folie Théâtre

Jan 31, 2010 | Aucun commentaire sur « Si tu me regardes, j’existe » de Francesca Volchitza Cabrini à la Folie Théâtre

Critique de Bruno Deslot

L’absence de soi

Troubles psychotiques, vécus à huis clos par une adolescente refusant de grandir, accompagnent la jeune Claire, sur les chemins complexes et douloureux de l’anorexie.

Une jeune fille pas comme les autres, ballerines blanches assorties à sa robe plissée, oscille d’une vie à l’autre, de l’obscurité à la lumière, révélant avec pudeur, les démons qui la hantent. Une réunion de famille pendant laquelle les plats se succèdent au rythme des conversations, brouillent les repères sécurisants de la jeune Claire en quête d’elle-même. La petite fille qui ne veut pas grandir se refuse à avaler la nourriture qu’on lui propose. Elle tente de dissimuler sa peur pour mieux la dompter, mais en vain ! La prégnance de ses angoisses accentue la finesse de sa silhouette qu’elle cache. On la dit maigre, ayant peu d’appétit, mais Claire se refuse à entendre ces propos fallacieux, lui renvoyant une image d’elle-même déformée par le regard inquisiteur de son entourage. Fuir les repas familiaux, observer des faux-semblants qui la confortent dans un état d’absence de soi, la jeune fille se perd au milieu de nulle part, dans un corps pour lequel elle souhaite obtenir une identité autonome. Sa maigreur, son manque d’appétit, son hyperactivité, sa fatigue, appartiennent au regard de l’autre, à celui de sa famille avec laquelle elle est en conflit. Claire s’amoindrit, s’ignore, s’efface, se liquéfie comme la matière fécale qu’elle expulse sans efforts afin d’assainir son corps délaissé…

Une mise en voix obsessionnelle !

F. Volchitza Cabrini restitue le quotidien ritualisé d’une jeune fille en proie aux troubles obsessionnels liés à l’anorexie. Recourant à une écriture simple, sincère et juste, l’auteur met en voix les démons qui peuplent la vie de la jeune Claire, confrontée à sa maladie. Elle établit les codes d’une écriture du symptôme en exploitant le discours syncopé d’une jeune fille dont les incursions verbales sont bien souvent ponctuées d’hésitations, liées à l’angoisse. Cabrini isole son personnage dans un soliloque qui se ment à lui-même puisqu’il est repris par trois personnages, les Indifférenciés, se faisant l’écho des pensées vagabondes et confuses de la jeune Claire. L’écriture de cette pièce, semble relever de la démarche expiatoire pour son auteur qui livre avec précision et finesse, la douleur existentielle d’une jeune fille tentant d’avancer en équilibre, sur le fil fragile de la vie.

Seule, dans sa robe blanche de petite fille, Claire est plantée, prostrée sur la scène, observée par des regards qu’elle semble ignorer et qui pourtant l’entourent, l’obsèdent, l’accaparent, la déroutent. Les Indifférenciés, interprétés par trois comédiennes, incarnant les personnages de la vie de Claire, progressent sur la scène au rythme des angoisses de la jeune fille. Cabrini, utilise ces Indifférenciés comme un choeur dont l’inlassable chant, l’inépuisable mise en voix, accentue la dimension obsessionnelle du comportement de Claire. C’est donc dans un tumulte vocal, bruyant et bavard, que les démons de la jeune fille tentent d’exister afin de rappeler, comme dans un cauchemar, toute la douleur éprouvée par Claire. La progression chorégraphiée du choeur s’apparente davantage à un jeu d’expression corporelle qu’à une véritable recherche esthétique d’une mise en abîme des corps qui entourent la jeune Claire. Le propos est suffisamment éloquent pour ne pas en rajouter. Les voix se mêlent, se chevauchent à un rythme trépidant afin de mieux faire comprendre, sans doute, la dimension obsessionnelle et ritualisée du quotidien de Claire. Un décor minimaliste pour restituer une douleur vécue, mise en lumière avec grâce et élégance, qui confine l’ensemble de la proposition dans une dimension intimiste se prêtant parfaitement bien au thème abordé. Marion Monier (Claire) propose une interprétation honnête, juste et généreuse de son personnage dont elle cerne toute la douloureuse complexité.

Une pièce sur l’anorexie qui n’a pas « la prétention de changer le monde », comme l’affirme son auteur, mais qui offre un espace de parole à une pathologie complexe à propos de laquelle, bien souvent, le silence s’impose.

Si tu me regardes, j’existe
Texte et mise en scène : Francesca Volchitza Cabrini
Avec : Vanessa Bile-Audouard, Charlotte Victoire Legrain, Giada Melley, Marion Monier

Du 14 janvier au 14 mars 2010

A La Folie Théâtre
6 rue de la Folie Méricourt, 75 001 Paris
www.folietheatre.com

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