Critiques // « Shakespeare is dead, get over it ! » au Théâtre du Rond-Point

« Shakespeare is dead, get over it ! » au Théâtre du Rond-Point

Juin 14, 2011 | Aucun commentaire sur « Shakespeare is dead, get over it ! » au Théâtre du Rond-Point

Critique de Denis Sanglard

Shakespeare, Godard, William, Anna. Une histoire d’amour qui commence par un malentendu ne peut elle finir que par un drame ? William et Anne s’aiment, se cherchent, se perdent. Se sont-ils rencontrés lors d’une projection du Mépris ou de Deux ou trois choses que je sais d’elle de Jean Luc Godard ?

© Giovanni Cittadini Cesi

Lui, l’altermondialiste engagé farouchement jusqu’au paradoxe, elle, la comédienne ne vivant que par Shakespeare, ne sont que friction et incompréhension. Deux destins qui se cognent l’un à l’autre, deux visions du monde antagonistes qui se heurtent à la réalité de l’autre. Parce que l’individu est aussi la somme de circonstances indépendantes de sa volonté, qu’il semble être déterminé par l’histoire, la grande et la petite, et même l’économie de marché, qu’il suffit d’un simple hasard, d’un simple choix de lecture, pour déterminer une vie, l’amour, la rencontre entre deux êtres ne peut être qu’illusion assumée et ne devoir se détacher des contingences pour exister. Tentative vouée à l’échec, à la désillusion programmée.

C’est un récit complexe, difficile à résumer, un récit kaléidoscope, labyrinthe où se croise Shakespeare, Godard, Margareth Thatcher, Ronald Reagan, un récit tout à la fois éclaté et parfaitement cohérent. Une structure parfaitement maîtrisée, intelligente, où les situations se répondent et se renvoient l’une à l’autre. L’éclatement temporel et spatial, cette déflexion constante dans la narration, multipliant les points de vue et les confrontant, les frottant avec rudesse, apporte une dynamique phénoménale au récit. L’impression, oui, de lire un scénario et de voir un film se réaliser et se monter sous nos yeux, hommage aux films de Godard sans doute, lui-même omniscient dans cette création, plusieurs de ses interventions ponctuant l‘action.

© Giovanni Cittadini Cesi

Paul Pourveur, l’auteur, signe un remarquable manifeste, un constat terrifiant de notre époque moche et salement libérale où l’individu, même le plus contestataire et réfractaire, finit par être broyé. Anna et William sont les enfants de ce siècle pourrissant, coincés entre  tradition et  changement, arc-boutés sur leurs idéaux jusqu’à en être fracassés. Pour autant cette pièce du désenchantement est bourrée d’humour et de tendresse. Si le propos est vif, Paul Pourveur évite le piège de la charge lourde.

Le collectif ildi!eldi! s’est emparé visiblement avec jubilation de ce récit. Et pourtant cela aurait put être casse-gueule. Il s’en tire avec les honneurs. Et même plus. La mise en scène est d’une grande intelligence. Tout y est fluide. Nous ne perdons rien de la narration et de l’action. L’échange des rôles, puisqu’ils se distribuent en alternance les personnages, est d’une fluidité confondante. De même et de fait narrateur et acteur tout à la fois cohabitent avec justesse sur le fil de rasoir. La scénographie elle-même est astucieuse qui permet l’éclatement des lieux et du temps du récit.

Nous sommes dans un studio d’enregistrement ( hommage à One+One de Godard, film sur les Rolling Stones en studio). Ainsi peuvent ils cloisonner l’espace à l’envi, le démultiplier, l’ouvrir, le fermer. Astuce classique de théâtre certes mais qui ne se démarque pas du lieu imaginé. Le studio dans le théâtre et le théâtre dans le studio, tout se fond, perméable, sans rupture. Cela permet également un jeu très subtil entre l’écriture scénaristique et le jeu théâtral, une mise en abime constante entre récit et narration.

© Giovanni Cittadini Cesi

Une distanciation bienvenue s‘opère qui évite tout débordement théâtral, tout effet qu‘un tel récit pourrait facilement faire surgir et déborder. Ils sont toujours à bonne distance et ne lâchent rien. C’est comme si ils racontaient maintenant et que devant nous la pièce se créait dans l’instant. L’émotion affleure toujours mais jamais on ne tombe dans le pathétique. Thématique shakespearienne sans doute mais traitement godardien. Le collectif Ildi!eldi! a levé ainsi toutes les difficultés dramaturgiques que posent une telle pièce. Ils ont trouvé l’équilibre fragile et adéquat entre le fond et la forme. Sophie Cattani, Odja Llorca, Antoine Oppenheim, François Sabourin font œuvre, prise de risque en sus, d’une vraie modernité, d’un véritable esprit de recherche et d’une grande cohérence dans leur choix dramaturgique et dans le plus grand respect du matériau offert : le texte. Et encore une fois, quel texte ! Et se sont tous les quatre de formidables comédiens, unis et complices. Si Shakespeare est mort le théâtre, lui, est (parfois) bien vivant !…

Shakespeare is dead, get over it !
– Prix de la critique 2009 / meilleur auteur –
De : Paul Pourveur
Par : Le collectif ildi!eldit
Mise en scène et jeu : Sophie Cattani, Odja Llorca, Antoine Oppenheim, François Sabourin
Lumière : Ludovic Bouaud
Son : Benjamin Furbacco

Du 7 juin au 2 juillet 2011

Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris
www.theatredurondpoint.fr

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