Critiques // « Sérial Plaideur », Jacques Vergès sur les planches du Théâtre de la Madeleine

« Sérial Plaideur », Jacques Vergès sur les planches du Théâtre de la Madeleine

Fév 23, 2011 | Aucun commentaire sur « Sérial Plaideur », Jacques Vergès sur les planches du Théâtre de la Madeleine

Critique de Camille Hazard

Ne nous y trompons pas ; nous ne venons pas voir un comédien sur scène, non. Nous ne venons pas non plus entendre parler d’anciennes affaires qui peuplent la vie d’un avocat, non. Nous venons voir un personnage. Oui, Jacques Vergès est un personnage.

Si l’opinion publique connait bien cet avocat à l’occasion de grands battages politico-médiatiques, des scandales bien écrits, bien orchestrés et des controverses qu’il provoque régulièrement, Jacques Vergès a choisi de se livrer au théâtre, à travers le texte qu’il a écrit  « Serial Plaideur ».  Une sincérité touchante dépourvue de tout effet spectacle : Un homme, adossé à son bureau qui parle en toute intimité, en tout confiance.
Comme lors d’une conférence  Jacques Vergès expose les différents thèmes abordés au cours de la rencontre : les tragédies comparables à des procès Antigone » de Sophocle) et les procès sous forme de tragédies (le procès de Jeanne d’Arc à Rouen). Cette première partie didactique lui permettra par la suite de renforcer son plaidoyer.  Car Maître Vergès fait l’expérience d’échanger les rôles, il quitte sa robe d’avocat pour prendre sa propre défense : nous devenons jury populaire, symbole fort puisque la défense de rupture (renversement de situation : l’accusé accuse ceux qui veulent le condamner, et prend à témoin l’opinion publique) deviendra tout au long de ses procès son symbole, son cheval de bataille.

© Dunnara Meas

Ayant tenu le « rôle » de jury populaire, je me permets de prendre la parole.

Et je me permets d’ajouter : si l’avocat ne défend pas des actes mais un homme, pour ma part je ne rebondis que sur les opinions d’un avocat et ne parle en aucun cas de l’homme Vergès.

L’idée qu’Antigone ou que Jeanne la Pucelle soient jugées et condamnées pour devenir des héroïnes immortelles de la littérature ou de l’Histoire, soit ! Que les lois, les codes, les morales changent et qu’un interdit d’hier devienne chose courante aujourd’hui, soit ! Que des personnes aient le courage de les défendre envers et contre tous, soit !
Mais M. Vergès, il y a un amalgame dangereux à ne  pas commettre ! Antigone, Jeanne d’Arc, Dreyfus, Oscar Wilde, Jean Genet et tous les autres cas cités, n’ont pas tué ! Ils se sont battus pour la liberté, pour leur pays, pour l’honneur mais ils n’ont en aucun cas transgressé l’un des liens forts qui nous unit : l’interdiction de tuer. Klaus Barbie, Tomislav Nikolic, Slobodan Milošević ne sont  pas Jeanne d’Arc ! Ils ne deviendront jamais (espérons-le) une figure emblématique du courage patriotique !
Vous  nous dites M. Vergès que pour combattre un homme il faut le comprendre, bien sûr ! et il faut aussi le comprendre pour l’aimer ! La frontière est mince… En outre, y a-t -il  toujours quelques chose à comprendre ?
Tous les Hommes sont en droit d’exiger  un procès équitable car justement ce sont des hommes et non des bêtes. Evidemment, la constitution doit être la même pour tout le monde !  Vous nous exposez assez bien cette idée que les criminels ne sont pas des monstres, juste nos semblables.
Cette idée rejoint celle de Jonathan Littell dans son livre « Les Bienveillantes » : le bourreau nazi Maximilien Aue est comme nous tous et nous sommes tous coupables. C’est une idée difficile à admettre tant elle fait peur !
Plus tôt, vous nous avez dit que l’opinion publique acceptait les criminels dans la littérature, dans l’art mais non dans la vie. C’est peut être que l’art magnifie, exalte les figures qu’elle expose, que la réalité apparaît souvent bien plus laide ! Et s’il est vrai que la vie inspire les artistes et que parfois nous pouvons nous-même  être influencés par un livre ou un film il serait assez naïf et même enfantin de penser qu’il n’y a pas de frontière entre nous et ce monde de l’art : monde d’exaltation, de passion, de fureur, de défouloir et de catharsis pour l’homme.

L’avocat sert, lors d’un procès, à « aider le personnage/accusé à vivre son épilogue, son 5ème acte ».

L’aspect théâtral de cette rencontre est en tout cas intéressant ; que nous soyons convaincus ou non par les propos de M. Vergès, nous l’écoutons les yeux grands ouverts et les oreilles bien tendues. Sa présence paisible et sincère impose le silence et la concentration. Le texte est bien écrit, rythmé et nous suivons chaque argumentation même si les idées s’éparpillent parfois. Nous assistons plus à un moment de confidence que de spectacle et c’est une sobriété à saluer. On se demande toutefois quelle a été l’utilité du metteur en scène ! On l’a déjà dit, M. Vergès n’est pas comédien mais il y a tout de même un détail frappant : il ne sait parfois pas quoi faire de ses mains. Soyons juste, ce n’est pas un aspect important mais qui aurait pu être travaillé ou gommé.

Cette représentation montre qu’un théâtre peut parfois se transformer en tribune où un citoyen vient s’expliquer, informer, convaincre una assemblée d’autres citoyens. Une belle idée à renouveler. Merci en tout cas M. Vergès pour votre sincérité.

Serial Plaideur
De et avec : Jacques Vergès
Adaptation : Louis-Charles Sirjacq
Réalisation : Marie Nicolas et Louis-Charles Sirjacq

Du 30 janvier au 11 avril 2011

Théâtre de la Madeleine
19 rue de Surène, 75 008 Paris – Réservations 01 42 65 07 07 ou 0892 68 36 22
www.theatremadeleine.com

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