À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Scum Rodéo, de Valérie Solanas, mise en scène de Mirabelle Rousseau, Théâtre de la Reine Blanche

Scum Rodéo, de Valérie Solanas, mise en scène de Mirabelle Rousseau, Théâtre de la Reine Blanche

Mai 13, 2012 | Commentaires fermés sur Scum Rodéo, de Valérie Solanas, mise en scène de Mirabelle Rousseau, Théâtre de la Reine Blanche

 

© Bellamy

© Bellamy

 

ƒƒ article de Denis Sanglard 

L’avenir est dans les scum. Scum, soit les rebuts, les déchets, la lie de la société. Mais pour Valérie Solanas ce sont ces femmes émancipées, « cool et asexuelles ». On peut aussi y voir cet acronyme cinglant : « Society for cutting up men ». Programme explicite… Valérie Solanas, connue pour avoir tenté d’assassiner Andy Warhol, écrit ce brûlot féministe, Scum Manifesto, d’une misandrie absolue et radicale qui ne prône rien de moins que l’éradication du sexe masculin après avoir renversé le gouvernement et instaurer l’autonomie à tous les niveaux. Autrement dit « foutre la merde ». « Vivre dans cette société c’est, au mieux, y mourir d’ennui, rien dans cette société n’est adapté aux femmes, alors à toutes les intrépides qui ont une conscience citoyenne et le sens des responsabilités, il ne reste plus qu’à renverser le gouvernement, éliminer le système monétaire, mettre en place l’automatisation et détruire le sexe masculin.» L’homme ici est une « femelle incomplète », « un accident biologique », « la masculinité (…) une maladie carentielle ». Les mots sont forts et résonnent, tapent durement. Mais à travers lui, le mâle, c’est toute une société machiste et son système qui sont violemment pointés du doigt. Guerre, religion, morale, argent, éducation… Une société malade et pourrissante dont il est l’unique responsable et pour son seul profit. Le renverser, l’émasculer, l’éradiquer c’est offrir aux scum le pouvoir de changer enfin la donne, faire place nette pour une nouvelle utopie, un avenir féministe. Aucun ne saurait être épargné sauf les homosexuels et les drag-queen, les seuls à résister de fait au système.

Texte féministe ou poème d’anticipation, volonté d’émancipation ou programme politique totalitaire et utopiste, c’est un peu tout ça à la fois. Analyse au vitriol et fureur libertaire, c’est un manifeste borderline d’une justesse affolante, d’un humour ravageur, jusque dans ses débordements proprement fascistes. Car la radicalité brutale de Valérie Solanas dans cette volonté destructrice et salutaire est une révélation en ce qu’elle dénonce par contraste et pointe d’un doigt vengeur et rageur une société déliquescente où la femme assujettie à l’homme par son éducation, reproduit ad nauseam son esclavage. Texte paradoxal et parfois franchement douteux par les solutions proposées mais que sauve le rire et surtout son questionnement sauvage sur l’ordre social masculin.

Mirabelle Rousseau avec pertinence change le titre et Manifesto devient Rodéo. Et c’est bien à ça que nous assistons. Un rodéo ou Sarah Chaumette chevauche le texte avec une belle assurance, une assise culottée que rien, dans les soubresauts vertigineux de ce pamphlet, ne démonte. Rien de la virago, pas de fureur, de démonstration outragée. Le texte se suffit à lui-même, est suffisamment explicite pour ne pas en rajouter. Non, Sarah Chaumette déroule le texte tranquillement avec une ironie mordante, une intelligence malicieuse. Le feu cependant couve sous la glace, une certaine folie même, mais la retenue domine. Tout ça est énoncé avec un aplomb désarmant, le pire exprimé avec une évidence qui vous renverse. Car c’est nous qui sommes désarçonnés par ce rodéo littéraire, ce pamphlet féministe, cravachés par Sarah Chaumette qui nous mate visiblement avec plaisir. La force de cette performance est d’être justement non dans la démonstration volontaire, l’illustration, mais dans l’énoncé, la réalité d’un texte et de s’y tenir, de ne jamais s’en éloigner et de ne pas céder à la violence idéologique qu’il contient. Sarah Chaumette à merveille joue la conférencière et semble rester, finaude, comme au bord de son sujet. Ce n’est que faux semblant. Car elle nous précipite la tête la première dans ce manifeste comme on domestique un cheval, sans jamais forcer mais avec ferme assurance. Nous sommes ébranlés certes et le chroniqueur que je suis ne craint pas vraiment pour ses attributs, mais ce choc, cette découverte tient surtout à la pertinence d’une analyse qui débarrassée de ces figures littéraires et radicales s’avère d’une triste et glaçante actualité encore aujourd’hui. Une référence féministe incontournable dont la pertinence, la lucidité désespérée et rageuse, méritaient d’être rappelées.

 

Scum Rodéo, de Valérie Solanas

Traduction : Blandine Pélissier
Mise en scène : Mirabelle Rousseau
Scénographie : Jean-Baptiste Bellon
Lumières : Manon Lauriol
Création sonore : Lucas Lelièvre
Régie générale : Camille Jamin
Régie son : Kerwin Roland
Costumes : Marine Provent
Avec Sarah Chaumette

 

Durée 50 minutes

Du 11 au 28 mai 2022, à 21 h

 

Théâtre La Reine Blanche
2 bis passage Ruelle 75018 Paris
Tel : 01 42 05 47 31

reservation@scenesblanches

 

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed