© Hubert Amiel
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Fuyant une vie morne, notre héroïne des temps modernes échoue dans la jungle amazonienne. Pas de bol, à peine les valises posées dans un hôtel minable, la voici enlevée par une phalange révolutionnaire. Violentée, violée, mais combative, s’emparant de l’arme de son ravisseur et violeur qu’elle dézingue promptement, tuant les autres guérilleros de surcroît et les trois otages qui l’accompagnaient – victimes collatérales d’une arme qui porte à gauche –, blessée, elle s’enfuit dans la jungle. Survivra-t-elle jusqu’au prochain épisode ? Le suspense est insoutenable … Voilà une drôle de création, désopilante, furieuse et d’une ironie mordante. Florence Minder se saisit de cette appétence contemporaine au storytelling qu’elle pastiche sans remord et pulvérise avec une gourmande férocité. D’un récit de plus en plus invraisemblable et hilarant qu’elle déroule imperturbable derrière son ordinateur avant, comme il se doit, de l’interrompre – la suite au prochain épisode – avant de le reprendre – second épisode – de le développer jusqu’à l’invraisemblance, le délire de son héroïne fiévreuse et agonisante n’y étant pas pour rien. Et conclure, surprise, par un troisième épisode où plane le fantôme de Pina Bausch. Florence Minder est une sacrée conteuse qui use avec maestria des codes narratifs des séries populaires, des feuilletons romanesques, des seuls-en-scène, jusqu’au slam, voire le stand-up, qu’elle tord et essore, explore pour tenir une salle en haleine dans un éclat de rire continu. Un art du montage Cut, percutant et très habile, reflet idoine de ces flux d’images en continu qui abondent sur les chaînes ou réseaux sociaux. Car c’est bien notre addiction à ces fictions bricolées, géniales ou ratées, dramatiques ou humoristiques, consommées sans parfois de modération, que Florence Minder explose et dynamite joyeusement. Notre rapport à la réalité noyée dans ces flux et frottée à ces univers fictionnels comme autant d’échappées addictives. C’est cette friction-là que Florence Minder expose sur le plateau. Notre besoin de raconter, de se la raconter, autant d’histoires qui alimentent notre tristouille quotidien dévoré par le consumérisme, ainsi réinventé et comme autant de bouffées d’oxygène frelatées. Comme elle interroge avec subtilité l’art et les codes de la représentation, l’art de retenir les spectateurs, jusqu’à oser, épisode trois, un très beau pas de côté, inattendu et poétique en compagnie de Pascal Merighi passé chez Pina Bausch. Parce qu’il existe aussi un autre regard, affirme là Florence Minder, une autre approche de la fiction, un autre langage, tout autant nourri de la réalité et sans conteste plus juste, celui du poète. Il fallait bien ça après deux épisodes totalement déjantés, accompagnée pour l’occasion – épisode 2 – de l’incroyable Sophie Sénécaud pas en reste dans l’univers azimuté de Florence Minder, ajoutant une couche de plus et bien épaisse dans la psyché perturbée de notre héroïne exsangue en plein délire, voire en agonie. C’est donc très drôle en effet mais pas si naïf que ça sous la parodie qui interroge aussi la place des femmes dans la fiction. Non plus héroïnes passives et victimes mais désormais prenant leurs destins en main, super-héroïnes et résilientes quoiqu’ici quelque-peu dépassées au milieu de cette jungle qui les dévore. Juste métaphore de notre société contemporaine…
© Hubert Amiel
Saison 1 projet écrit et conçu par Florence Minder
Avec Pascal Merighi, Florence Minder et Sophie Sénécaut
Assistant Julien Jaillot
Conseillère dramaturgique Manah Depauw
Scénographie et création lumière Simon Siegmann
Costumes et accessoires Cécile Barraud de Lagerie, Nicole Moris, Pauline Aschoff (stagiaire)
Compositions originales et musique live Pierre-Alexandre Lampert
Création sonore Guillaume Istace
Du 12 au 20 décembre 2018 à 20h
Relâche le dimanche
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
Réservations 01 43 57 42 14
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