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RUINE, écrit et interprété par Erwan Ha Kyoon Larcher, au 104 Paris

Jan 28, 2019 | Commentaires fermés sur RUINE, écrit et interprété par Erwan Ha Kyoon Larcher, au 104 Paris

© Yannick Labrousse

 

ƒƒƒ article de Marguerite Papazoglou

Captivant de bout en bout, un spectacle extraordinaire et un jeune artiste qu’on a envie de revoir ! Analeptique pour quiconque se sent de la colère au spectacle du monde (voire du monde du spectacle). Partir de la ruine comme état de fait sera résolument optimiste !

Le plateau de RUINE qui s’ouvre aux spectateurs n’a a priori rien d’une ruine. Tout y est ordonné, élégant, propre et attractif. Juxtaposés, des éléments disparates, échantillons de réalité tronquée, allant d’une carapace de tortue totem à un carré de pelouse véritable soigneusement découpé, en passant entre autres par un arc et des flèches, des œufs, une estrade, des synthétiseurs, un extincteur et des câbles électriques, le tout dans un très esthétique camaïeu allant du noir brun au blanc cassé, disposé avec soin et en attente d’un éventuel usage. Mais Erwan Ha Kyoon Larcher, issu du cirque où l’on apprend que tout peut arriver et qu’il vaut mieux savoir faire feu de tout bois et surtout à partir de rien(s), n’entreprend pas une simple « manipulation performatique » de son atelier, il va offrir la surprise — entrainant l’émotion, sans l’intention de la donner. Il y a une recherche constante de justesse et d’épuration, dans les gestes, l’espace, la façon de commencer ou de finir une action, le plus directement possible, l’action elle-même, la plus nue possible, le son, dépouillé, la référence au monde où nous vivons, implacable. Une esthétique à la fois zen et rock où la dimension symbolique se lie à la poésie du prosaïque et à l’irrévérence.

Erwan entre tel un personnage de manga, vêtu d’une combinaison intégrale de protection faisant immédiatement résonner l’idée d’une certaine catastrophe ambiante. Puis il esquive les attentes, trompe ses propres compétences, trame tous les genres, introduit du texte, du son — dont on ne peut omettre de mentionner les morceaux galvanisants issus de son projet musique solo Tout est beau style minimal krautrock techno — teste, goûte, abandonne, sape, casse, attend, recommence. Il fait travail d’acte(s). Tout semble découler de la simple et cinglante question, tant générale que réactualisée à chaque instant, de l’universel « que faire ? », du traditionnel « que va-t-il faire ? », du jouissif « que va-t-il arriver ? ». D’ailleurs, la référence (dont nous ne révèlerons pas la machine) à l’ancestral Yi-king, Livre des mutations est ce qui très justement semble guider l’écriture de cette série de non réponses.

Erwan Ha Kyoon Larcher dit du cirque qu’il s’écrit comme un journal intime, par jaillissements, par listes, par bribes, par notes. RUINE se construit par la possibilité donnée à la gratuité et la contradiction d’advenir, et par une permission infinie. On se délecte quand cet incroyable acrobate combat un adversaire imaginaire qui n’est autre que la bande son, qui en plus des buitages des coups portés enfile les perles des idées reçues anti-asiatiques les plus ordinaires… justement en jouant au séduisant Bruce Lee, au samouraï d’humeur égale, au Ninja…! L’ironie est parfois féroce et réciproquement. C’est par le choc de la juxtaposition que ça opère. Subversion d’une vision par en dessous aussi avec cette conversation familiale joyau de machisme ambiant, comme entendue de dessous la table du repas, qui accompagne la déconstruction, en équilibre sur les mains, d’un mur en parpaings. « Démerde-toi ». Ce sont bien les tristes vestiges, reliquats ou reliques d’un monde aimé et détesté, à détruire et à sauver, sur la brèche et en équilibre instable, d’un monde où tout peut basculer et où il n’y a pas de repos possible.

« Considère tes actes manqués ou ratés ; cela fait longtemps que les actes utiles ne sont plus ». Et s’il ne s’agit plus de rater comme un Charlot maladroit en rapport à des normes sociales, ce qui est raté c’est la certitude de faire œuvre et d’aller dans le bon sens. Car ce dont on est sûr c’est de n’être sûr de rien. S’il y a des « restes » à extraire pour avancer après avoir enlevé les décombres des mythes personnels et des histoires collectives, il n’y a pas de raccourci possible, il faut encore, comme EHKL, scier la planche sur laquelle on tient. Encore constater l’effet de la gravité ou encore avoir essayé de la braver le plus longtemps possible — les restes ? ces planches sciées entassées devant l’entrée et sur chacune desquelles on lit : « preuve n°… il a re-re-re-… -essayé ».

 

© Laurence Heintz

 

RUINE, de Erwan Ha Kyoon Larcher

Ecriture, mise en place, interprétation : Erwan Ha Kyoon Larcher

Musique, son : T o u t   E s t   B e a u (Erwan Ha Kyoon Larcher)

Régie générale, son : Enzo Bodo

Réalisation déclencheurs audio : Julien Vadet

Costumière : Ann Williams

Artificière : Marianne Le Duc

Création lumière : Vera Martins

 

Du 19 janvier au 2 février 2019 à 20h30

Durée indicative 1h15

 

Le CENTQUATRE-Paris
5 Rue Curial

75019 Paris

Réservation au 01 53 35 50 00

www.104.fr

 

Tournée

Du 13 au 23 mars 2019 à 19h30

Le Montfort théâtre (Paris)
106 Rue Brancion

75015 Paris

Réservation au 01.56.08.33.88

www.lemonfort.fr

 

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