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RRRRRIGHT NOW, de Paola Stella Minni & Konstantinos Rizos, au Théâtre de Vanves, dans le cadre du festival ARTDANTHE, Vanves

Mar 20, 2025 | Commentaires fermés sur RRRRRIGHT NOW, de Paola Stella Minni & Konstantinos Rizos, au Théâtre de Vanves, dans le cadre du festival ARTDANTHE, Vanves

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Des chiens aboient au loin instillant l’imminence d’une curée. Qu’y a-t-il pour les exciter ? L’insupportable odeur de pourriture de notre époque ? Ou d’autres encore, plus anciennes et révolues, toujours prégnantes ? La chair avariée de nos rêves échus ? Quel bistouri pour traiter le mal brun de notre temps ? Dans un prologue à valeur d’exposition on apprend que du soin apporté au traitement d’une fistule anale d’un roi de France, dont le rétablissement fut chanté par Lully, inspirant à sa suite Haendel, naquit l’hymne national anglais. Holy shit ! La gloire git au fond du trou.

RRRRRIGHT NOW connaît son homme, en peint la vanité à peu de frais à l’instar d’une nature morte : ce pas de deux ou cette bourrée, petit doigt relevé, masque l’effondrement. Les mains se font moulinets, à la fois maniérés et instruments de pêche, et l’on pourrait presque entendre Baudelaire dans son avertissement au lecteur : « La sottise, l’erreur, le péché, la lésine, / Occupent nos esprits et travaillent nos corps, / Et nous alimentons nos aimables remords, / Comme les mendiants nourrissent leur vermine ». Quatre hommes, yeux fardés glamour, pourpoints de velours noir strié de fils d’or, boxer et chaussettes noirs itou, cuisses et mollets bien à l’air, à poils. Ils sont, mais cela est tout autant comiquement démenti, ces Ambassadeurs peints par Holbein, dont la vision sous un certain angle révèle à leurs pieds une tête de mort cachée sous une anamorphose.

Il faudrait pouvoir le partager ce premier regard, cette plénitude suffisante et délicatement ironique, sa lumineuse facticité aussi, cette magistrale attente dressant d’un sourire le public, l’entraînant dans un entre temps, et explosant de rire à la vue de son semblable tout juste sorti du décor. Le rire de se voir ainsi dans le miroir de l’autre. Sur un air entendu, un air d’époque, cordes pincées, nos nobles compères exécuteront leur char de triomphe, petit doigt relevé, port altier, la prestance et la posture comme passe-muraille dans la fin des mondes. Franck Sinatra chante son crépusculaire et sublime My way, repris a capella par nos quatre troubadours. La maladresse est l’équipage de ces visiteurs du soir, la danse est ici citée, décadence, joue d’une légère imprécision où s’engouffre le délitement des formes. Le ver est dans le fruit comme la fistule dans le cul royal. Ainsi soit-il. Que le monde aille à sa perte dirait Marguerite Duras, tandis que les Sex Pistols entonnent leur dernière chanson et que l’homme du monde se pavane au bord du gouffre.

Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos travaillent à la croisée des temps, et sur la crête d’un risible tragique. Les quatre performers ont tout le sérieux de ne pas se prendre au sérieux. RRRRRIGHT NOW opère en profondeur par son indéfinissable étrangeté, impure, impropre, mixant ses sources, ruinant les formes. Sa composition se révèle être un littéral processus de décomposition. En cela RRRRRIGHT NOW est éminemment baroque, parade mortuaire maquillée d’humour où les reflets projetés sur les panneaux alentour ne révèlent que l’ombre du vivant. C’est une ironie qui attaque les chairs et révèle les traits comme l’acide sur la plaque de cuivre du graveur. Ce que fait ce spectacle, il le fait avant tout au temps qui passe, à l’expérience spectatrice, dans ses dilatations, ses ellipses, sa trappe centrale, aussi puissante qu’une faille temporelle, par un cut magistral nous plongeant dans un univers garage et noisy, dans un véritable concert live (ici la traduction du terme anglais prend tout son sens : vivant). Le temps est dégondé et dévergondé ? Accentuant encore le vol plané du soudain changement d’époque, une puissante vidéo de Léo Vuoso concatène des images troublantes, assiégeantes, un lévrier en pleine course, des robots-chiens, des usines…, maelstrom d’une symbolique du progrès… Quand la dernière stridence d’une guitare électrique s’éteindra, les corps ne seront plus que tas, un vent fort et sourd soufflera au dehors comme celui du Cheval de Turin de Bela Tarr, à moins qu’il ne s’agisse des grognements du volcan engloutissant Empédocle. Les mots seront rendus à leur exquis cadavre.