© Jean-Louis Fernandez
ƒƒƒ article de Nicolas Brizault
En fin de fournée, une femme, professeure de français, rentre chez elle, à Royan, et ne quitte pas l’entrée de son immeuble. Comme enfermée, séquestrée. Elle ne veut pas allez plus loin, elle ne veut pas rejoindre son appartement. Une de ses élèves s’est suicidée, et ses parents l’attendent sans doute devant chez elle, ils la sentent responsable, ils l’imaginent au moins ne pas avoir su soutenir leur fille. Sont-ils là vraiment ? Peut-être, peut-être pas. En tout cas ce terrible événement ne laisse pas cette professeure indifférente, c’est le moins qu’on puisse dire.
Et pour se défendre, se justifier, ne pas montrer sa peur, ou sa douleur, cette femme, exceptionnelle Nicole Garcia, va raconter sa vie, comment elle est arrivée d’Oran, puis son adolescence à elle à Marseille, avec sa mère, comment elle s’est battue pour qu’on l’imagine forte, comment devenue professeure de français à Royan, elle se méfie, se bat contre ses élèves pour être à la fois invisible et intouchable. Elle va et vient dans ce hall d’entrée, façon immeuble fin année 1980, boîtes aux lettres très comme il faut et petite allée de galets blancs et propres. Elle a peur, elle est menacée, puis parle de cette élève qui n’était pas comme les autres, qui n’a pas tenté de leur ressembler, qui s’est dirigée vers elle pour un appel au secours. Ces deux femmes ne se ressemblent-elles pas ? N’ont-elles pas souffert des mêmes menaces idiotes et efficaces des « copains de classes » ? Elles n’ont pas trouvé la même façon de se défendre, l’une est devenue froide et menaçante, l’autre est restée elle-même, et à 15 ans saute par la fenêtre.
Royan, la professeure de français est une pièce de Marie Ndiaye, mise en scène par Frédéric Bélier-Garcia. Un seule en scène, même si ici ou là une silhouette apparaît, comme une menace pour cette femme. Sans doute minuscules moments « en trop », on s’imagine l’entrée d’un nouveau personnage, mais non. Une gomme serait la bienvenue. Sinon… on est comme subjugué par ce texte. Cette femme juste là, devant nous, essaie de se défendre, non, elle ne souffre pas de la même torture qui détruit cette gamine, cette gamine qui elle ne se dissimulait pas. Qui, elle, cherchait de l’aide. Le jeu de Nicole Garcia est un mélange de simplicité et de terreur. Sa voix glisse ici ou là, et illustre parfaitement ce que ressent cette femme. Comme si elle trébuchait. La douleur, totalement cachée au début, explose ensuite. Mais presque sans bruit, sans mouvement, un aveu d’égalité, un aveu tout court, d’irresponsabilité, d’où cette image vraie ou fausse des parents devant sa porte. On nous montre les combats entre ados, les défenses tentées qui fonctionnent ou non. Et le résultat est extraordinaire. Comme si le silence s’installait en nous aussi, incapables d’échanger vraiment après une telle fureur exposée, là, dans un hall d’entrée, presque sans bruit.
© Jean-Louis Fernandez
Royan – La professeure de français, de Marie NDiaye
Mise en scène : Frédéric Bélier-Garcia
Avec Nicole Garcia
Décor : Jacques Gabel
Lumières : Dominique Bruguière
Son : Sébastien Trouvé
Collaboration artistique : Sandra Choquet, Caroline Gonce
Collaboration au jeu : Vincent Deslandres
Costumes : Camille Janbon
Maquillage : Christophe Danchaud
Coiffure : Julien Parizet
Du 17 janvier au 3 février 2022
Durée 1 h 10
Théâtre de la Ville, Espace Cardin
1, avenue Gabriel
75008 Paris
www.theatredelaville-paris.com
comment closed